Terre de l'homme

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En route pour le pays de la reine de Saba - 2ème partie.

 

 

 

 

 

port des boutres et palais du gouvernueur

 

                                                       Djibouti, port des boutres et palais du gouverneur

 

 

Maintenant, j’avais le sentiment que nous avions franchi une étape, que nous entrions dans un monde inconnu et risqué. Etincelante de beauté, la mer Rouge s’étalait devant nous et, au fur et à mesure qu’on avançait, je voyais les côtes s’éloigner de plus en plus jusqu’à devenir, à certains moments, de fines lignes sombres. Suez était loin derrière nous. Finies l’agitation et les allées et venues des barques du port de la ville que nous avions aperçue sans y faire escale. Cap, à présent, sur la Côte Française des Somalis et son port Djibouti.

Pour un garçon de mon âge, la vie à bord n’était pas idéale car je n’avais aucun compagnon de jeu et les conversations des adultes n’étaient pas de celles qui me passionnaient. Mais, du bastingage et à l’ombre du pont au-dessus, je regardais ce paysage sec, sablonneux et aride qui défilait de chaque côté. L’eau était d’un bleu turquoise, d’une transparence extraordinaire au point de distinguer les fonds à 30 ou 40 mètres. Hors de question que le bateau s’arrête pour que certains y plongent mais ce n’est pas l’envie qui manquait chez certains intrépides. Quant à moi, mon envie était vite réfrénée, ne sachant pas nager. Mer Rouge mais , en réalité, bleue comme la Méditerranée.

 

 

mer rouge

 

 

 

En fait, c’est une mer de 1914 km, large de 300 km au maximum, profonde de 300 m en moyenne et 3040 m au plus. Nombreux hauts-fonds qui abritent de nombreux poissons et des coraux réputés. Il semble que ce sont ces coraux rouges qui ont donné son nom à cette mer. Et la légende biblique veut que les eaux de la mer se retirèrent pour laisser passer le peuple de Dieu fuyant l’Egypte. Hypothèse peu probable mais la fuite de ces gens par voie terrestre et maritime, par tous moyens, est possible avec  pertes probables.

Que cette mer ait été un lieu propice au piratage, à des trafics et échanges commerciaux de toutes sortes dont les armes, entre les côtes de la péninsule arabique et celles de L’Egypte, de l’Erythrée, ouverture de l’Ethiopie sur la mer, Djibouti, la Somalie et Oman, le Yémen et La Mecque à équidistance entre le Nord et le Sud de ce long littoral arabique, n’était pas une découverte.

 

 De temps en temps, on apercevait des bancs de poissons et à quelques reprises,  des squales immenses longèrent le bateau. La chaleur était intense mais on bénéficiait de petits zéphyrs et dans de confortables hamacs ou chaises longues, certains poussaient un petit somme.  

Toutefois, pour rattraper le temps perdu, j’étais astreint à faire des devoirs scolaires. Ma mère avait déniché dans un coin du bateau, des livres plus ou moins jaunis par le temps et l’humidité, sur une étagère et auxquels, personne ne faisait attention. Parmi eux, une vieille encyclopédie qui relatait l’histoire des pays que nous avions traversés et du Proche- Orient. Quelle aubaine ! Mais, je n’étais pas enchanté par sa trouvaille. Ainsi, je fus amené à anticiper sur des programmes que j’étudierai plus tard, comme l’Egypte des Pharaons et la civilisation égyptienne, la Grèce antique et les conquêtes d’Alexandre le Grand, l’empire Romain et les aventures d’Antoine et Cléopâtre, l’empire de Darius et la Mésopotamie…..C’était, malgré tout, une diversion à mes tâches habituelles : « la preuve par 9 pour la multiplication », les fractions, dénominateur et numérateur commun (que notre ami Pierre Fabre a, déjà, illustré dans le blog), dictées, récitations….

Au bout d’environ deux heures, j’étais libre. J’allais sur le pont en quête de quelque curiosité. Des boutres naviguaient sur la mer, certains s’approchaient du bateau. On nous avait dit de faire attention car certains avaient des allures de pirates et, de loin, nous fixaient, immobiles, silhouettes très minces,  tête enrubannée,  djellaba ou accoutrements divers, large ceinture où était fixé un sabre ou un poignard ; ils ne semblaient pas rassurants mais le bateau filait à bonne allure. L’équipage connaissait d’autres boutres :  le bateau, alors, réduisait sa vitesse pour leur permettre de se rapprocher de la coque puis, leur lançait des bouts pour attacher  leur barque en plusieurs points du bateau,  se laissant traîner. Souriants, ils nous interpellaient, sachant quelques bribes de français. Très rapidement, ils enlevaient des bâches protégeant leur cargaison et, surprise, apparaissaient des rangées de tomates, carottes, salades..  oranges, pamplemousses, citrons, et surtout des poissons fraîchement pêchés.. Le cuistot n’était pas loin et disait «  choisissez ce que vous voulez, moi je me charge de faire cuire vos poissons (contre pourboire, bien sûr.). C’est ainsi que j’ai goûté pour la première fois  de délicieux poissons de la mer Rouge, grillés. Une autre fois, j’aperçus sous la bâche des sabres courbes ou autres armes blanches de forme diverse . Tout se vendait.

 

 

 

Djibouti_Rue_d\\\'Abyssinie1920

                                                                                        

                                                                              Djibouti années 1920

 

 Nous nous approchions du détroit de Bab el Mandel « la porte des Lamentations » . Les côtes que nous avions perdues de vue se faisaient plus nettes. Tout cela annonçait la baie de Tadjourah au fond de laquelle se trouvait Djibouti.

 

 

 Un peu plus tard, on nous annonça que le port était à environ trois ou quatre heures, terminus de notre périple par bateau. Je fixai au loin la côte érythréenne et quelqu’un me dit de regarder dans ses jumelles. Très loin encore, se voyait une ligne blanche , des taches de verdure et c’est, alors, que je me souvins qu’on m’avait fait cadeau d’un livre au départ de Marseille. Je me précipitai, il était dans mon cartable, je l’ouvris sur les premières pages :

« Voilà sous quels auspices j’ai fait mon premier voyage à Tadjoura.

Il y a quarante ans, Djibouti était une presqu’île de sable terminée par un îlot de médrapores morts où de rares pêcheurs venaient s’abriter, les jours de grand vent. Le récif côtier est couvert par une large passe qui donne accès à un vaste bassin naturel. A 6 kms dans les terres, une oasis indique la présence de couches d’eau souterraines.

Aujourd’hui, Djibouti apparaît là comme une ville toute blanche aux toits plats. Elle semble flotter sur la mer quand on la voit émerger de l’horizon à l’approche du paquebot, puis, peu à peu, se précisent des réservoirs métalliques, des bras de grues, des monceaux de charbon, enfin toutes les laideurs que la civilisation d’Occident est condamnée à porter partout avec elle.

A droite, de grandes montagnes sombres se dressent comme une gigantesque muraille de l’autre côté du golfe de Tadjoura. Leurs hautes falaises de basalte défendent ce mystérieux pays dankali, inexploré et peuplé de tribus rebelles.

En arrière de la ville, un désert de lave noire, couvert de buissons épineux, étend sur 300 kms une inexorable solitude jusqu’aux plateaux du Harrar. La civilisation s’arrête devant cette nature farouche qui ne donne rien pour la vie de ses créatures. Seuls les Issas, sauvages et cruels, y vivent en nomades, la lance et le poignard toujours prêts pour achever le voyageur blanc que le soleil n’aurait pas tué.

Cependant, un mince ruban de fer traverse ce pays torride : c’est la ligne de Djibouti à Addis. On a oublié les hommes courageux qui y laissèrent leur vie .

De quoi vivait Djibouti lors de mon arrivée ? D’un mouvement de transit, à cause de la voie ferrée qui pénètre en Ethiopie. Mais, les millions qui s’entassaient dans les coffres de la douane provenaient d’un autre commerce : Djibouti vivait de la contrebande des armes.             

Henri de Monfreid - Les secrets de la mer Rouge (publié en 1931)

 

Henry_de_Monfreid_

 

                                                                            Henri de Monfreid

 

En 1946, l’ endroit que décrit Henri de Monfreid  n’avait guère changé au fil du temps.

Du mistral ? oublié mais remplacé par du chaud torride. Je pensais à la prochaine étape en train qui allait traverser cette région mystérieuse du pays dankali et des Issas dont parle Henri de Monfreid et ce n’était pas fait pour me rassurer.

 

Jacques Lannaud

         

 

 



26/02/2021
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