Terre de l'homme

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Addis Abeba : un peu d'histoire

 

 

avenue Winston Churchill

 

                                                         Avenue Winston Churchill à Addis Abeba

 

Jacques Lannaud

 

Jacques Lannaud

Jacques Lannaud nous a fait découvrir dans son précédent article, la ville d'Addis Abeba, la nouvelle fleur  où il s'installe en 1946 avec ses parents, venus enseigner le français au sein d'un établissement de l'Alliance française. Aujourd'hui, il parle de l'histoire de la ville, de sa fondation en 1886 à la colonisation italienne et à sa libération.

 

J’appréhendais mieux, à présent, la configuration et l’état de la ville,  d’une part grâce aux exposés auxquels j’avais participé et aussi, à ce que j’avais pu voir et retenir en parcourant les rues.

 

La fondation de la capitale au piémont de la montagne volcanique d’Entotto ne remontait qu’à 1886. L’empereur Menelik II, roi du Choa, y avait bâti deux églises et un camp militaire ; de là, il  surveillait ses conquêtes méridionales. Son épouse Taytu aimait cet endroit tempéré où les températures étaient assez constantes entre 26° et 30° à la saison sèche. Là elle prenait ses bains aux sources d’eaux chaudes de  Filoha . Et, c’est en ce lieu que Menelik se fit couronner roi des rois « Neguesse Negest » en 1889 dans l’église d’Entotto Marriam, puis se fit construire un palais près des sources. Taytu, dit-on, avait aperçu dans cette contrée, des fleurs d’une très grande beauté et la bourgade d’Entotto devint , en amharique, Addis- Abeba , la nouvelle fleur.

 

 

menelik II bis

 

 

                                             Menelik II en costume impérial (1844 - 1913)

 

                                                                                                                           

 

A notre arrivée, fin 1946, la ville n’avait même pas 100 ans d’existence et elle avait attiré un afflux d’habitants du fait de l’implantation du palais impérial. La plus importante ethnie du pays, celle des amharas, y détenait le pouvoir grâce à l’empereur, de religion chrétienne orthodoxe-copte que les Grecs avaient introduit au cours des XViè- XVIiè siècles.

 

Le nouvel empereur était de ce peuple d’origine sémite qui avait fondé la dynastie salomonide dont l’origine remontait au fils de la reine de Saba, Menelik I, venu au monde à la suite de son voyage en grande pompe en Judée, pour rendre visite au roi Salomon. Cette suprématie prévalut sur cette partie de la corne de l’Afrique pendant près de 3000 ans, interrompue par des révolutions de palais, soit environ 225 générations et semblait devoir se poursuivre.

 

Pour faciliter l’installation de ce futur peuplement, on procéda au déboisement du piémont de ce monticule volcanique. Déjà, le second tronçon du chemin de fer était quasiment terminé ; mais, faute de finances, on n’avait pas pu le prolonger jusqu’à la nouvelle capitale de l’Empire. Le premier tronçon entre Djibouti- Diré-Dawa, quant à lui, était opérationnel au grand dam de Menelik qui réalisait que ce serait un atout capital pour sa ville, enserrée dans ces reliefs difficiles à gravir, de devoir à tout prix, la désenclaver pour avoir accès à la mer.

 

Finalement, ce second tronçon ne fut ouvert que le 7 Juin 1917 et, en raison de polémiques d’ordre financier et politique,  la gare d’Addis-Abeba ne sera inaugurée que le 3 Décembre 1929.

 

Aucun arbre n’y poussait après pareil défrichement.

 

C’est un Français, M. Mondon-Vidalhet qui, ayant installé là sa résidence, eut l’idée de l’agrémenter en y plantant des eucalyptus. L’idée fut reprise et se généralisa à toute la zone de sorte que, à notre arrivée, c’est une mer d’eucalyptus qui s’étalait devant nous à la sortie de la gare.

 

Et, de la place devant la gare,  la ville que je voyais, n’avait rien de commun avec Marseille, son port et la Méditerranée que j’avais contemplés, récemment,  depuis la Bonne Mère. Une forêt de 10000 ha, environ, recouvrait les pentes de ces hauteurs d’où montait une vapeur odorante et agréable qui nous prenait au nez . Sous ces arbres élancés au feuillage gris-bleuté, clairsemé, scintillant au soleil, de petits regroupements de «  toucoules » serrées plus ou moins les unes contre les autres,  se voyaient à travers les frondaisons peu touffues. Et de l’endroit, partait cette longue, large et rectiligne avenue « Winston Churchill », longue de 5 à 6 kms qui plongeait vers un vallon pour remonter jusqu ‘au centre en passant devant l’importante bâtisse du Lycée franco-éthiopien.

 

En compagnie de mes amis, j’y retournai et constatai que la place était entourée d’eucalyptus, de parterres de fleurs et de haies de géraniums géants d’une hauteur de 1m50- 2m,  véritables arbustes qui attirèrent mon attention. De là, on distinguait la ville haute aux solides bâtisses de pierre dont on devinait que certaines d’entre elles étaient les édifices administratifs , les palais de Menelik II,  le Guébi,  résidence de l’empereur et des églises orthodoxes.  

 

Non, ce n’était pas l’étendue plate d’un plateau mais une surface hérissée d’élévations de moyenne hauteur. La ville avait occupé ces hauteurs plus ou moins arrondies et les versants plus ou moins déclives.

 

Dans les prolongements, assez loin, j’observais des faubourgs faits de baraques, d’abris de fortune aux toits de tôles ondulées, rouillés, brûlés par le soleil, des masures tassées les unes contre les autres, véritables bidonvilles  où vivait la population la plus misérable. Je pointai le doigt en direction de l’endroit et mes amis, aussitôt, de me dire qu’il y avait beaucoup de réfugiés ayant fui la guerre, suite à la dernière invasion italienne de 1936.

 

Là, dans ces quartiers assez périphériques où j’eus l’occasion de passer avec mes camarades, je découvris des gens misérables, souffrant de malnutrition, d’ infirmités diverses, culs- de- jatte, des infirmes aux pieds ou membres déformés ou amputés, boitillant ou se déplaçant sur des béquilles, des enfants sous-alimentés envahis par les mouches dévorant leurs yeux, des lieux où la vermine pullulait, des chiens faméliques. Ici, de façon endémique, sévissaient les maladies tropicales, la syphilis, le trachome expliquant le grand nombre de mal-voyants ou d’aveugles, la tuberculose, le paludisme ou malaria. Face à cela, le système de soins inorganisé et démuni était débordé. Une antenne de l’Institut Pasteur s’était installée dans la ville et des scientifiques français et éthiopiens y collaboraient et tentaient de se faire une place. Je devais en connaître certains qui fréquentèrent l’Alliance française.

 

Le pays s’était particulièrement distingué dans sa lutte pour son indépendance contre la colonisation au cours du siècle précédent. Les Italiens s’étaient installés à Assab, le port sur la mer Rouge qu’ils avaient acheté à un sultan local en 1870 puis, dans le suivi, s’étaient emparés d’un autre port Massaoua, un peu plus au Nord. Mais, leur intention colonisatrice fut interrompue par un chef éthiopien, le Ras Abula, qui les stoppa à Dogali en 1887. La situation se dégrada et la guerre de colonisation du pays reprit de plus belle. C’est alors que le Negusse Negest (Roi des Rois) Menelik II entraînant toute son armée derrière lui, remporta une victoire sans appel, le 1er Mars 1896 à Adoua dans la province du Tigré. Victoire retentissante et qui rassembla tout le pays autour de son dirigeant.

 

 

victoire d\\\'Adoua

 

                                                                         Victoire d'Adoua

 

Mais voilà, Mussolini, au pouvoir, n’avait pas digéré cette humiliation. Il reprend la guerre avec une armée mécanisée où les bombardements d’artillerie et 1000 tonnes de bombes à ypérite, grenades à l’arsine, 270 tonnes de produits chimiques agressifs pour l’emploi tactique, vont pleuvoir sur la population, avec, en outre, des centaines de chenillettes et de véhicules. Addis-Abeba tombe le 9 Mai 1936.

 

Le négus Haïlé Sélassié était, déjà, parti pour Londres. L’offensive italienne entraîna un exil des populations du pays, fuyant devant l’ennemi. Plusieurs massacres eurent lieu dont celui de Graziani  qui se solda par l’assassinat de près de 30 000 civils dans la capitale et le massacre de Debré-Libanos en 1937 de 300 prêtres et de l’Aboune Pétros (chef de l’église copte).  Au total,  l’offensive italienne de Mussolini se soldera par 760 000 morts dont 300 000 civils.

 

 

attaque italienne

 

                                  2 octobre 1935, l'Italie attaque l'Ethiopie

 

Les alliés sensibilisés par l’empereur et par son discours devant la Société des Nations, sous l’impulsion des Britanniques ne voulant pas voir les Italiens s’emparer de la corne de l’Afrique, se mettent à la tête d’une coalition comprenant des Français libres et chassent les Italiens avec l’aide de troupes belges venues du Sud. L’empereur retrouve son trône en 1941. Son retour sera triomphal.

A l’exemple de Menelik II, il avait défendu l’indépendance de l’Ethiopie et son refus de toute colonisation. Il faisait, alors, l’unité autour de lui et entreprit avec l’aide des Alliés, la reconstruction du pays et sa modernisation. Le jeune Tafari Makonnen était réputé intelligent et avait eu une excellente éducation dont celle de André Jarosseau, évêque capucin français, vicaire apostolique de la province du Harrar. Il parlait français et avait eu des conctacts avec un certain Arthur Rimbaud.

 

 

photo jacky

 

                Le négus et l'impératrice, fête de l'Epiphanie (photo Jacques Lannaud)

 

L’enjeu était, à présent, la modernisation du pays dont la poulation était scindée en  ethnies de religions différentes et qui, depuis longtemps, se disputaient le pouvoir. Haïlé Sélassié qui n’avait rien d’un dictateur ou d’un tyran à la sauce mussolinienne, discret, apprécié et respecté, devait se montrer à la hauteur de la tâche car la guerre fasciste que le peuple avait subie et l’ouverture sur le monde qu’il entreprenait, étaient sources de beaucoup de dangers.

 

 

Hailé

 

                                  Haïlé Sélassié en tenue militaire entouré des officiels

 

 

 

     Jacques Lannaud

 

 

 

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Demain. Nous essayerons de sortir de l'ornière. 

 

 

 

 



05/04/2021
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