L’Amba et le monastère de Dabra Damo
Le plateau de l'Amba entouré de falaises abruptes, les villages monastiques et l'église principale.
Nous sommes arrivés au pied de cette montagne de l’Amba par une piste défoncée, une contrée unique où les macaques en groupe fuient devant l’étrange véhicule secoué par les ressauts de la route dont le bruit inhabituel perturbe le silence des lieux et se répercute sur des parois verticales. Ils fuient, pris de panique, mais leur instinct de curiosité les arrête : d’étranges bipèdes sont apparus faisant cliquer de drôles de boîtiers avec un gros oeil. Les « bouquetins », au-dessus, s’arrêtent eux-aussi sur des crêtes vertigineuses ou sur des éboulis fixant la route en-dessous. La montagne s’agite, les perroquets sur les euphorbes géantes candélabres s’interrogent, poussent des cris déchirants tandis que les calaos maugréent.
La corde pend le long de la paroi de la falaise impressionnante, se balançant au gré du vent, sculptée par des siècles d’érosion éolienne, pluviale.. rappelant les lointaines falaises eyzicoises et de la Roque-Gageac trouées, aussi, de cavités ou grottes…
Ici, les hommes ont creusé le roc en forme de sanctuaire caché dans une roche compacte, dure, volcanique, granitique. Travail gigantesque. D’autres églises extérieures ont été bâties plus classiques voire rondes comme une vaste «toucoule », elles n’ont pas toutes résisté au temps.
Fragment de la façade Sud de la grande église caractéristique de l'architecture éthiopienne antique.
L’Eglise-Roc est faite pour durer, traverser le temps, on sait qu’elle résistera, qu’elle est presque éternelle, perchée et difficile d’accès. Elle symbolise la foi ancrée dans les esprits, résistant aux épreuves, elle aussi façonnée comme un roc. L’environnement est éprouvant, la terre n’est pas forcément généreuse, il faut se battre pour garder son identité et son territoire. Car, cette contrée est un îlot chrétien entouré au nord, à l’ouest, à l’est, d’ethnies aux motivations hostiles.
La religion chrétienne a réussi à s’infiltrer, à s’enraciner à la suite d’influences grecques orthodoxes relayées par des minorités chrétiennes égyptiennes. Mais, l’intérêt de l’Egypte n’est pas fondamentalement religieux, il est surtout géographique : c’est, en effet, dans ces montagnes toutes proches qui atteignent des altitudes quasi-alpines, qu’émerge ce fameux Nil Bleu, l’affluent principal du grand Nil égyptien qui apporte aux rives du fleuve, ces inondations en aval qui, depuis des siècles, fertilisent les terres y déposant le précieux limon.
Des conflits nombreux ont pu être évités , des confrontations s’étaient déroulées à l’époque pharaonique ; aujourd’hui même, un conflit se dessine en rapport avec un énorme barrage en construction dans la partie éthiopienne du Nil Bleu qui priverait, ainsi, l’Egypte de ces crues indispensables aux cultures.
L’envahisseur soudanais est intéressé par les terres arrosées qui jouxtent son territoire et, du côté somalien, c’est le château d’eau du plateau éthiopien qu’on voudrait bien s’approprier, en partie à cause de l’aridité régnant chez eux. A cela, s’ajoute le contexte religieux, non des moindres.
Continuant notre exploration, voici qu’on découvre un village monastique sur une esplanade de la montagne, tout près du sanctuaire. Des moines vivent là dans des maisonnettes, toit plat, murs de moellons, jardin clôturé. D’autres moines, paraît-il, de moins bonnes conditions, vivent regroupés dans des logis à l’écart : ce sont les tâcherons.
Une des deux fenêtres de bois du porche extérieur : la fenêtre Nord.
Mais, le plus important, ce sont ces deux églises consacrées au saint, l’une sur une corniche du rocher, vingt mètres en-dessous du plateau, paroi Est, la seconde sur l’emplacement où le saint prit pied sur le plateau. L’église, la plus vaste, mesure 20m sur 9m, une basilique à trois nefs et deux porches. Tout à côté, un mur de trois mètres isole l’église, un clocher, plusieurs citernes d’eau d’une cour contiguë où se trouve le Trésor.
Pour monter, un long sentier de chèvres grimpe parmi les rocailles et nécessite des jambes aguerries et puissantes. Ou bien, si vous avez des bras d’Hercule, saisissez la corde à condition de ne pas craindre le vertige tout en sachant que le serpent ne sera d’aucun secours.*
On pense que cet ensemble remonte, en grande partie, au Moyen-Age éthiopien et ce monastère Dabra Damo s’inspire de constructions pré-chrétiennes d’Aksum ; le palais « aksumite » aux allures de château-fort, fait de stèles étagées ( la stèle est un monument monolithique (colonne, cippe, pierre plate) qui porte une inscription, des ornements sculptés).
Ici, ce sont des stèles à étages, découpées dans un seul morceau de rocher, transportées, redressées et décorées. Le plan, au départ, quadratique, va évoluer vers une forme carrée ou rectangulaire avec la chrétienté. Au sol, une plate-forme avec des marches, le socle. Tout cela complété par des piliers, chapiteaux, murs à têtes de singes avec fenêtres et portes, frises intérieures.
Six piliers monolithiques (tête et pied en forme de dé) qui séparent les bas-côtés de la nef principale. Architrave de bois, chevronnage décoratif et cette frise constituée par une rangée de fenêtres se poursuit sur les murs du sanctuaire : les métopes (champ de fenêtres) garnies de sculptures décoratives .
On pourrait continuer le descriptif mais vous aurez compris, cela nous mènerait trop loin. Architecture originale ne s’apparentant en rien à nos églises romanes si propices au recueillement.
Autour, de nombreuses grottes et cavernes : elles renferment des sépultures de moines, d’hommes pieux qui ont été emmenés là, hissés à la corde pour reposer dans la sainte montagne.
La randonnée a été riche, dense, les jambes commencent à fatiguer ; cela mériterait une visite plus approfondie mais il faut reprendre le pick-up, une autre excursion nous attend, peut-être, dans une autre vallée tout aussi paradisiaque : l’église-crypte de Guh.
Jacques Lannaud
*Le monastère de Debre Damo fut fondé au sixième siècle par le moine syrien l'Abuna Za-Mikaël Aregawi, un des Neuf Saints d'Ethiopie, à la demande de l'Empereur Gabra Masqal. Une histoire raconte que, sur ordre de Dieu, un serpent hissa le Saint Aregawi au sommet, les derniers quinze mètres de la paroi se faisant obligatoirement, depuis tout temps, par le "Jendé' , sangle de cuir symbolisant le serpent. Il est aussi reporté que lorsque le diable coupa le Jendé lors de l'ascension de Takla Haymanot, disciple de l'Abuna Aregawi, il lui poussa des ailes afin qu'il ne tombe pas. Ces ailes lui permirent de faire plusieurs voyages à Jérusalem, tout le long de sa vie.
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Demain : Nadine Monteil, notre nouvelle sous-préfète, nous vient de la Beauce.
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