Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 6. Saga de Françoise Maraval

 

 

DE BELLES GENS

 

 

 

                                      Épisode 6

 

 

 

 

                                          la vie tout simplement

 

 

 

 

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Pendant qu’Emma travaillait à Bordeaux, Arthur n’est pas resté inactif. Il a loué une maison, route du Bugue. Avec l’aide d’André et d’Alice, la maison a été rafraîchie, les murs repeints , les placards et le parquet astiqués, la cheminée rénovée, l’évier changé. Le futur mari a acheté des meubles d’occasion qu’Alice a inspectés sur toutes les coutures et cirés, avec l’énergie qu’on lui connaît. Cependant, Arthur redoute l’œil avisé d’Emma : une vie modeste allait faire place au luxe qu’elle a connu, pendant quelques années, même si, à Bordeaux, elle n’était qu’une employée.

 

Arthur a repris le travail : départ le matin de très bonne heure, à midi déjeuner à l’hôtel de la Poste, ils se retrouvent le soir. Pendant ce temps, Emma s’occupe, sa journée sera bien remplie. Le matin, elle sort faire ses courses en prévision du repas du soir. Alice lui a dévoilé les points faibles d’Arthur en matière d’alimentation. Le jeune mari est vite content de sa nouvelle cuisinière, il n’avait aucune inquiétude. Pour se mêler aux autres maîtresses de maison du village, elle  se souvient des remarques de son beau-père, aussi s’habille-t-elle le plus modestement possible, mais les tenues de la ville, les plus simples possibles, sont toujours plus élégantes que celles des villages. Elle prend vite des habitudes et des curieuses, toujours les mêmes, se trouvent sur son passage quand elle va à « la ruche méridionale », chez le boucher ou le boulanger. Elle reconnaît d’anciennes copines d’école avec qui elle bavarde volontiers.

                                                                                                                                                      

 

 

Sans titre 4

 

                                                                                                                                           

   

 

 

L’après-midi, elle se rend à « la gravette » visiter ses grands-parents et en profite pour aider : elle voit tout de suite quels sont leurs besoins. Elle fait du ménage, coud, repasse ; elle a le temps et surtout elle leur est tellement redevable. Ils ont été naturellement présents à la mort de son père et ils ont tout donné avec tellement d’amour. De temps en temps, elle va rejoindre Gabrielle à la sortie de l’atelier de couture. La jeune tante est toujours gaie et extravertie. La nièce n’est nullement gênée et peut tout comprendre… Elle considère Gabrielle comme sa sœur, elles sont presque jumelles, Emma la voudrait heureuse.

 

A la maison, la jeune mariée améliore son intérieur. Elle a visité les tapissiers du village et a acheté tissus et clous tapissiers pour habiller l’intérieur des placards de sa chambre, de la salle à manger, de la cuisine. Elle a vu faire une fois le tapissier à Bordeaux chez ses patrons et a tout retenu de la leçon. Elle en assure les frais avec ses économies. Arthur la laisse libre d’agir.

Alice a de l’admiration pour sa belle-sœur et, en plus, elle est la sœur de Marcel. Emma a tout compris le jour de la noce, elle a observé le manège d’Alice et les regards furtifs lancés en direction de son frère. La jeune fille était métamorphosée, la présence de ce cavalier à ses côtés l’embellissait.

 

                                                                                                                                                          

Quand Alice a un après-midi de libre, elle suit Emma à « la gravette » pour s’y rendre utile mais aussi et surtout pour avoir la chance de rencontrer Marcel. En passant devant la forge, les jeunes dames s’arrêtent pour embrasser Marcel qui abandonne tout pour passer un moment avec elles. Le cœur d’Alice bat très fort, elle le sent remonter jusque dans sa gorge. Le forgeron ne veut pas comprendre mais il sait...

 

 

                                                                                                                                                      

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Un jour de visite à « la gravette », Emma ose en parler à son frère. Il a parfaitement le droit de ne pas désirer Alice, mais il faut que le jeu cesse, il faut rapidement et définitivement mettre fin au rêve de la jeune femme. S'il n’y a aucun espoir dans cette éventuelle union, il faut qu’il le dise clairement. Marcel est conscient de l’effet qu’il fait sur Alice, il n’en joue pas et, bien que gêné, il aborde le sujet avec l’intéressée en présence d’Emma. Alice croit d’abord à une déclaration d’amour mais vite le château de cartes s’écroule :

 

            - Alice, tu as toutes les qualités qu’un homme digne de ce nom peut attendre d’une épouse. A l’âge de douze ans, j’ai voulu apprendre  le métier de maréchal-ferrant, le métier de mon père. C’est le défi que j’ai lancé au mauvais sort qui l’a tué. Je ne suis à l’abri de rien. Pour moi, mon père était le plus grand, le plus fort, le plus beau de tous les papas. Ce foutu métier a eu raison de lui, il nous a tous laissés surpris, hébétés, en plein désarroi, puis un sentiment d’injustice nous a envahis pour faire place à un immense chagrin qui est toujours là. Oui, je veux faire ce métier pour venger mon père. Ma famille actuelle : mère, sœur, frère, grands-parents ont  été si chaleureux, si généreux, si forts. Mais je ne peux pas fonder ma propre famille. Si c’était le cas, à chaque instant, je tremblerais pour eux et je perdrais toute assurance en moi, je serais vulnérable. Alice, je ne te repousse pas mais, dans ma vie, il n’y a pas de place pour une nouvelle famille. Tu as trop de qualités pour ne pas faire le bonheur d’un homme, ne pense plus à moi, tourne-toi vers ton véritable destin.

 

                      

 

Emma et Alice se sont mises à pleurer doucement. La sœur n’avait pas compris à quel point son frère avait été traumatisé par la disparition du père et ne pouvait pas imaginer tous les engagements qu’il s’était infligés. Certes, Emma l’avait trouvé courageux, elle avait admiré son volontariat pour reprendre la forge, elle avait tout de suite compris qu’il ne voulait pas être un poids pour sa mère et pour les grands-parents, mais un tel renoncement, elle ne pouvait pas le prévoir. Il a dû se sentir bien seul à la mort du père, il a caché son chagrin et la douleur est toujours là, chaque jour, ravivée par le feu de la forge, elle le brûle, elle le consume.

Les deux jeunes femmes ont traversé le village en empruntant les petites ruelles, elles ne voulaient pas que les badauds voient leurs yeux rougis et leurs mines défaites. Alice ne reviendra  à "la gravette" que pour d’autres raisons. Emma ne regardera plus son frère de la même façon. Quand il ne travaille pas, son regard est absent, son esprit est ailleurs, il sourit régulièrement pour donner le change, Emma est inquiète.

 

                                                                                                                           

 

Heureusement, Henri est plein de vie, insouciant et même trop insouciant. Après avoir passé le certificat d’études primaires avec succès, sur recommandation du maître d’école, M. Savant, il a eu  l’opportunité de rentrer à l’étude de maître Podevin, notaire à Saint-Cyprien. L’étude est sise à côté de l’école Sainte-Marie, école de jeunes filles tenue par des religieuses, juste à l’entrée du quartier de »la gravette ». Henri a l’esprit vif et tout ce qui se passe dans ce nouveau milieu, l’intéresse beaucoup. En outre, cette position le valorise à ses yeux et aux yeux de ses connaissances. Il a une incroyable mémoire qui est vite reconnue et utilisée par le personnel de l’étude. Il ne perd rien de tout ce qui se dit et se voit confier rapidement un nouveau secteur, celui de l’assurance. Celle-ci, « la Bienveillance », a son siège à Paris. Ah ! Paris…

 

                     

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La rue de Rivoli

 

 

                                                                                                                                               

                       

 

Quasi quotidiennement, il transmet des contrats, reçoit moult papiers du siège et même il lui arrive de téléphoner dans le bureau de maître Podevin pour éclaircir tel ou tel point d’un contrat. Son patron est émerveillé d’autant plus qu’il reçoit de Paris des commissions très intéressantes. La tête d’Henri bouillonne de projets et son vœu le plus cher est de monter travailler dans la capitale. Maintenant qu’il a fait son trou au sein de « la Bienveillance », la société n’hésitera pas à lui ouvrir ses portes, cependant Henri sait qu’il doit encore approfondir la découverte de ce métier et des contrats, il doit en faire signer encore et encore dans le village.

                       

 

A côté de l’étude, l’école Sainte-Marie détourne de temps en temps son attention. Il aime observer les jeunes filles, toutes de bonnes familles, qui fréquentent l’établissement religieux et tout particulièrement les plus grandes. De la fenêtre du cagibi, aménagé pour lui en bureau, il domine la cour de récréation, il observe le manège des sœurs et des élèves. Ces dernières sont filles de commerçants, de riches propriétaires terriens, de forestiers, de professions libérales du canton. L’éducation reçue est de très bonne qualité : cette jeunesse se sent supérieure à celle de l’école publique. 

                                                                                                                                                         

                       

 

 

 

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                                                                       L’école laïque

 

Ces demoiselles de l’école Sainte-Marie ont le privilège de se faire vouvoyer par l’ensemble de la population et notamment par les autres jeunes de leur âge. Certaines adoptent un comportement théâtral empreint de manières dédaigneuses vis-à-vis du peuple. Henri sait, pour les avoir observées, qu’elles ne se font pas de cadeau entre elles. Assurément, les petites Parisiennes sont moins mesquines et en attendant de pouvoir les approcher, il les imagine, le soir, dans son lit…

                       

Henri, de stature moins imposante que celle de Marcel, dégage beaucoup de charme. Son visage beau, sans être trop fin, diffuse une belle lumière, celle de ses yeux bleus, les yeux des Borde. Il rêve de poésie, de musique, de peinture… Le dimanche, il accompagne souvent Arthur et Marcel à la pêche, muni de son carnet à dessins et de ses fusains, cadeaux d’Emma. Les berges de la Dordogne le fascinent avec leurs grands peupliers tremblants et leurs saules pleureurs, avec des reflets insaisissables sur cette eau qui court, miroir des cieux changeants et des jeux du soleil. Le soir, il joue de l’harmonica avec Marcel pour le plus grand bonheur des grands-parents. Les frères dorment toujours dans la même chambre et le monologue intarissable du benjamin finit par bercer son aîné. Marcel se demande où il va chercher tout ça et il est bien décidé à l’aider à réaliser son rêve : partir travailler à PARIS.

 

Emma sait que les deux frères sont complices . Elle en éprouve une grande joie et un immense soulagement. Par contre, elle n’est pas pressée de voir Henri partir pour la capitale. Bien sûr, elle s’est confiée à Arthur au sujet de Marcel et d’Alice. Le mari est peu loquace, mais pense que sa sœur n’avait pas à se monter la tête et si elle n’arrive pas à surmonter sa déception, elle va contaminer le clan Maraval. Mais, en grande dame, Alice donne l’impression de surmonter l’épreuve.  Le travail, une fois de plus, va être son refuge et une nouvelle corde à son arc va lui permettre de prendre de l’importance dans le village.

 

 

                

 

Un habitué de l’hôtel a nécessité la venue du médecin. Alice était présente et, tout naturellement, le docteur a pensé à elle pour prodiguer des soins quotidiens, indispensables au rétablissement du voyageur. Alice savait déjà poser des ventouses sur le dos de son père, mettre un cataplasme à la moutarde, poser des sangsues, maintenant elle sait soigner les brûlures et les plaies de toutes sortes. Certes, le médecin établit un diagnostic, délivre une ordonnance mais il demande à Alice d’assurer le suivi des soins et de lui rendre des comptes si le problème persiste.

 

                                                                                                                                                         

Très vite, elle apprend à faire des piqûres  avec délicatesse et sûreté. A la demande, le soir après son travail à l’hôtel, elle va de maison en maison offrir ses services. Le bouche à oreille fonctionne ; elle ne se fait pas payer, elle sait qu’elle n’en a pas le droit, mais si on veut lui donner quelque chose, après avoir refusé une première fois, elle finit par accepter. Jean Maraval est fier de sa fille et de la place qu’elle se fait dans le village. Les portes de la société cypriote lui sont ouvertes, elle va montrer à Marcel qu’il est passé à côté d’une femme d’exception.

 

Sans titre 6

 

 



07/10/2021
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