Terre de l'homme

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Bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert . "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar"

Pierre Merlhiot

 

 

Pierre Merlhiot, le fondateur de Terre de l'homme, aujourd'hui, ouvre une page littéraire qui s'écarte assez nettement de notre bassin aquitain. Pour le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert, il voulait que le lectorat ait de cette plume un autre regard que celui du cliché tout fait. 

Le lucide prosateur normand  manipula à merveille l'analyse psychologique pour rédiger son œuvre. Elle va bien au-delà de son drame "bovarien". Sa poésie romanesque se démarqua de ses alter ego par son originalité

Image dans Infobox.

 

Évitons d'avoir un stéréotype pour les personnages qui font, ou ont fait, partie de notre histoire, de notre culture. On peut les admirer, voire les exécrer ; mais, de grâce, avant de secouer l'encensoir ou de jeter l'anathème, partons à leur découverte. Aujourd'hui, Pierre Merlhiot va de Rouen à Croisset, écart de Canteleu. Il va nous faire revivre des personnages du Pays d' Auge... mais pas seulement.

 

Après-demain, Jacques Lannaud va nous placer sur les pas de Vercingétorix, grand héros gaulois natif d'Auvergne, probablement, ou peut-être, à Gergovie, il y a environ 2 103 ans. Sa fin tragique à Rome, il y a 2 063 ans, dans les geôles de César, nous le rend profondément sympathique. Était-il conforme à nos clichés ? Laissons Jacques nous en parler.

Ce qui est certain, c'est que nous ne nous égarons point, nous sommes parfaitement… dans le Pays de l'homme.

 

P-B F

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Flaubert statue 4

 

 

                                               Statue de Flaubert à Rouen 

 

 

 "C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar"

 

Ainsi commence le roman de Flaubert "Salammbô" avec une des plus belles phrases de la langue française, modèle de précision. Le récit est lancé.

 

 

flaubert Salammbô

 

 

                                              Salammbô, fille d'Hamilcar

 

Un autre grand écrivain lui emboîtera le pas, introduisant ainsi son roman "A la recherche du temps perdu" : " Longtemps je me suis couché de bonne heure".

 

Si j'ai fait le choix de Gustave Flaubert, c'est qu'on ne saurait passer sous silence le bicentenaire de la naissance d'un de nos plus grands écrivains. Il a toujours été de bon ton, dans les conversations, de citer Flaubert et "Madame Bovary". Continuer à en abuser, c'est le poncif qui nous guette.

 

Je retiendrai deux aspects de son oeuvre : l'obsession de l'art, du style qui, à ses yeux, supplantent le contenu. Ses manuscrits sont couverts de ratures et de "repentirs" : "Il m'arrive de supprimer au bout de 5 ou 6 pages des phrases qui m'ont demandé des journées entières".

 

 

flaubrt manuscript

 

 

                                         Extrait du manuscrit de Madame Bovary

 

 

On comprend pourquoi 5 à 7 ans séparent la parution de ses oeuvres.

Sans nul doute, hormis La Fontaine, personne n'a écrit avec une telle concision, chaque mot est pesé, chaque sonorité choisie avec soin. On ne saurait changer ou supprimer un élément sans altérer le rythme de la phrase.

Buffon avait déjà défini ce qu'il fallait entendre par le mot style qui n'est que  "l'ordre et le mouvement que l'on met dans ses pensées".

 

Cette  obsession de la perfection dans l'écriture, Gustave Flaubert la met au service de l'idée qu'il se fait de son époque, la deuxième moitié du 19ème siècle qu'il exècre (les bourgeois, la société du nombre, la révolution industrielle, le culte de la vitesse, la standardisation du travail, la dégradation de la culture).

Ce polémiste est aussi conservateur et fait savoir que la longévité de l'empire est une bonne chose.

 

flaubert bal

 

 

                                                    Madame Bovary , Claude Chabrol (1991)

                                                                                Le bal

 

 

Pris entre un romantisme qui s'étiole (1850) et la révolution industrielle qui donne naissance  à une bourgeoisie, il exprime ainsi son mal-être : "Il y a  en moi, littéralement parlant, deux bonhommes distincts : un qui est épris de lyrisme, de grands vols d'aigle, de toutes les sonorités de la phrase et des sommets de l'idée, un autre qui creuse et fouille le vrai tant qu'il peut".

 

Celui qui se dit hanté par la tentation romantique et lyrique aurait pu profiter de cet entre-deux pour créer des personnages dans lesquels Musset, Lamartine, Vigny auraient reconnu leurs héros et héroïnes : il a fait le choix de "Madame Bovary".

 

 

flaubert Bouvard

 

 

Il aurait pu créer des personnages représentatifs de l'ère industrielle et des avancées scientifiques. Il a  fait le choix de "Bouvard et Pécuchet", personnages qui se signalent par leur médiocrité et leur bêtise.

"Je suis contre la bêtise de mon époque. Je sens des flots de haine qui m'étouffent."

Chez les personnages qu'il a créés, le goût du romanesque le dispute à l'arrivisme et aux arrière-pensées. Tout cela ne peut que les conduire à l'échec.

 

"Madame Bovary" (1857), c'est l'histoire d'une femme qui veut s'élever socialement, s'évader d'une réalité médiocre par l'imaginaire. Elle  finit par se suicider.

 

 

flaubert mort d\\\'Emma

 

 

                                                                          La mort d'Emma 

 

"L'éducation sentimentale" (1869) : un jeune étudiant veut se frayer un chemin dans la haute société. Son arrivisme maladroit le conduit à l'échec sur le plan financier et sentimental.

 

 

educ sent

 

 

"Bouvard et Pécuchet" (1878) : deux amis veulent changer de vie, se lancent dans l'agriculture sans autre préparation que la lecture d'ouvrages de vulgarisation. C'est l'échec. Dans une lettre adressée à une amie, Flaubert donne les  raisons pour lesquelles il a  écrit ce livre :"Je médite une chose où j'exhalerai ma colère. Je vomirai sur mes contemporains le dégoût qu'il m'inspire."

 

La détestation de Flaubert ne s'en tient pas à celle qu'il voue à ces ratés qui échouent dans tout ce qu'ils tentent. Elle vise toute son époque . C'est surtout le bourgeois qu'il déteste.

Il n'est pas le seul dans ce siècle : Arthur Rimbaud en 1868, écrira le poème "A la musique".

Sur la place taillée en mesquines pelouses

Square où tout est correct, les arbres et les fleurs

Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs

portent les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses

 

Le 31 janvier 1857, s'ouvrait devant le tribunal correctionnel de Paris, le procès de Madame Bovary pour outrage à la morale publique. Gustave Flaubert fut acquitté. Ses liens avec la société du Second Empire sont pour quelque chose dans l'indulgence du tribunal. La même année, Baudelaire fut condamné pour "Les fleurs du mal ". 

On peut reprocher à Gustave Flaubert de n'avoir vu que des aspects négatifs dans son siècle. Victor Hugo n'est pas tombé dans ce travers.

 

Cependant, Flaubert n'en demeure pas moins avec La Fontaine, un des maîtres en matière de style.

 

 

flaubert mariage

 

 

                                                          Le mariage d'Emma 

 

La 1ère fois que j'ai lu Madame Bovary, une scène m'avait frappé, celle où Emma Bovary pique-nique avec son époux et des amis. On la sait soucieuse d'élévation sociale, de distinction : cela passe par le respect de certains codes. Un des convives sort de sa poche, un couteau pour couper le pain. Ce geste n'échappe pas à la vigilance d'Emma Bovary qui le trouve trivial : "Et il avait aussi un couteau"

Toute la concision de Flaubert et ce qu'il est convenu d'appeler le bovarysme sont dans cette phrase.

 

Admirer le style de Flaubert et en tirer la conclusion que l'homme  est à l'avenant,  serait une erreur. Rappelez-vous la polémique sur ce blog à propos de Céline et de son roman "Voyage au bout de la nuit".

Je n'oublierai pas que l'homme, qui n'a cessé d'éreinter le bourgeois, écrit à Georges Sand, le 7 octobre 1871 :"Le peuple est un éternel mineur. Je hais la démocratie. Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain. L'instruction obligatoire et gratuite n'y fera rien qu'augmenter le nombre des imbéciles. Le plus pressé est d'instruire les riches qui, en somme, sont les plus forts. "

 

A Rouen, la statue de Flaubert est toujours sur son socle.

 

 

Pierre Merlhiot 



23/07/2021
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