Un voisin pas comme les autres par Catherine Merlhiot
La villa Paknam, 39 avenue Georges Pompidou, à Périgueux
photo Catherine Merlhiot
Une magnifique villa, quoiqu'un peu défraîchie, s'élève majestueuse et mystérieuse au milieu d'un beau parc au 39 de l'avenue Georges Pompidou. C'est la villa Paknam. Habitant non loin de là, je passe régulièrement devant la bâtisse, m'interrogeant à chaque fois sur ce nom exotique, oubliant à chaque fois d'investiguer plus loin pour trouver la réponse et me contentant d'admirer le lieu. Peut-être avons-nous besoin de garder des mystères pour lâcher la bride à notre imagination.
villa Paknam
Photo Catherine Merlhiot
De façon très surprenante, c'est en allant voir "Presque vrai", le spectacle de Jean Bonnefon, au Palace à Périgueux, en février dernier, que j'ai eu la réponse. Jean Bonnefon, conteur et musicien bien connu des Périgourdins (et au-delà), y raconte des histoires de famille, presque toutes vraies, et nous fait partager son amour du Périgord et de ses habitants. Il y relate, notamment, un épisode de la vie d'un marin breton dont un de ses ancêtres croisa, un jour (ou pas), la route. Rencontre vraisemblable en tous cas car le marin, arrivé en Dordogne grâce à son épouse Edmée Rose Alberte Marie Josèphe de la Borie de la Batut, originaire de Saint-Chamassy, acheta une villa à Périgueux où il écrivit ses mémoires et termina ses jours .
Ce marin s'appelle Louis Marie Charles René Dartige du Fournet (1856 -1940).
Son histoire est liée à celle de la colonisation française en Indochine encouragée, alors, par Jules Ferry. En 1893, la France et le royaume du Siam (actuelle Thaïlande) s'affrontent pour la possession du Laos. Le Siam est contraint de céder après ce que l'on a appelé la crise de Paknam, où Dartige du Fournet, lieutenant de vaisseau, à bord de la canonnière La Comète, a joué un rôle prépondérant, résistant aux tirs des canons postés au fort Paknam.
Mais, c'est grâce à son rôle dans le sauvetage de 4000 Arméniens, pendant la 1ère Guerre mondiale, que Dartige du Fournet a acquis sa stature de héros, même s'il fut ensuite oublié pour être à nouveau redécouvert. On peut trouver le récit de cet épisode tragique, relaté par Gilles et Brigitte Delluc dans les excellents bulletins de la société historique et archéologique du Périgord (publication de 2015) . L'article est intitulé : Trois faits d’armes de Louis Dartige du Fournet, officier de marine.
En 1915, Dartige du Fournet est commandant en chef des Forces alliées en Méditerranée. Il va être confronté au génocide des Arméniens perpétré par les Turcs. Les habitants de 6 villages orientaux refusant d'être évacués de force, se retranchent sur le Mont Moïse et résistent au siège des Turcs pendant deux mois.
Leur appel au secours parviendra au croiseur Guichen qui surveille le blocus des côtes d’Asie mineure dans l’escadre du vice-amiral Dartige du Fournet et celui-ci, sans attendre le feu vert de sa hiérarchie, organisera le sauvetage de ces malheureux, les évacuant sur Port Saïd en Egypte.
Le croiseur Guichen
Chaloupe française évacuant les réfugiés arméniens (source wikipédia)
Et voilà pourquoi la villa Pax, achetée par Dartige du Fournet en 1925, fut rebaptisée la villa Paknam. Dartige du Fournet est enterré à Saint-Chamassy.
Des délégations arméniennes lui rendent régulièrement hommage.
Catherine Merlhiot
PS : La villa Paknam a ensuite été rachetée par l'éditeur Emmanuel Leymarie - les éditions du Périgord noir - qui a édité les ouvrages d'Eugène Le Roy. Mais, ceci est une autre histoire.
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