Terre de l'homme

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Des mots et des maux

 

 

Aujourd'hui, Pierre Merlhiot, le fondateur de "Terre de l'homme", avec son style que, si j'osais, je taxerais de rhétoricien, nous amène à réfléchir sur les mots et les maux.

 

Les mots ont un sens. À Nice, j'avais un "patron", docteur en droit, qui fulminait quand l'un d'entre nous s'égarait sur la sémantique. Il avait certainement raison, trop souvent raison. Les maux sont, bien entendu, tout autre chose.

Guy Corneau, autodidacte canadien, s'est fort bien emparé des maux. Cette brillante plume d'outre-Atlantique savait de quoi il parlait car, en 2007, il fut atteint d'un cancer de stade IV dont il se remettra. Ce sera l'objet de son livre Revivre. Ce chroniqueur, animateur médiatique, homme de psychologie et de théâtre, fut emporté dans l'au-delà et ne put boucler son livre qu'il entendait nommer "Un message d'amour. Mieux s'aimer pour aimer mieux".

 

P-B F

 

 

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La lecture de la saga de Françoise-Marie avec ses fréquentes références à la grande guerre, les nombreuses correspondances faisant état du moral et des conditions de vie des soldats, m'ont emmené à revoir l'album photo familial avec ses lettres sur papier ou cartes postales.

 

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On pourrait penser que cet échange entre le front et l'arrière était réservé à une élite savante sachant écrire. Tel ne fut pas le cas. Jules Ferry était passé par là et c'est d'une façon massive et presque quotidienne que se faisait l'échange de courrier. On a compté près d'un million sept cent mille lettres par jour.

 

 

 

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Le poilu disposait d'un crayon, de petites feuilles de papier et, dans le meilleur des cas, se procurait une carte postale dont l'iconographie était le plus souvent guerrière, patriotique, caricaturale à l'égard de l'ennemi, montrant des soldats à l'assaut (On les aura !) ou des images plus paisibles empreintes de douceur et de sensibilité : le personnage de la fiancée, de l'infirmière, de la marraine de guerre, faisait le contrepoint d'une réalité d'une rare brutalité.

 

 

 

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Quant au contenu, la place pour écrire était réduite, il fallait donc aller à l'essentiel : quelques phrases empreintes de pudeur et de tendresse maintenaient ce lien conjugal et familial d'une façon régulière et, de ce fait, aidaient au moral des troupes.

L'auraient-ils souhaité que les poilus n'auraient pu décrire les horreurs du champ de bataille. La censure veillait.

 

 

 

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Et pourtant, s'il est un conflit qui mérite le mot de Guerre, ce fut bien celui de 14/18, de la Grande guerre (la "der des ders" disait-on ). Ce ne fut pas la dernière ; cependant, à partir des années 1970, l'absence de conflit sur le sol national, la démilitarisation de notre société (disparition du service national, un changement sémantique s'opère : le mot guerre tombe en déshérence. Il n'était plus aux yeux des chercheurs, le mot approprié pour les nouveaux types de conflit, sans fin, ni vainqueur, ni vaincu.

Pour des raisons politiques, les états utilisent des euphémismes pour minorer la réalité des conflits et  atténuer le caractère tragique de la guerre, c'est le cas de l'Afghanistan et de l'Irak qui furent l'objet d'interventions ou d'opérations spéciales. Ce fut le cas pour l'Algérie où l'on employa les termes de maintien de l'ordre ou de pacification.

 

 

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                                                                         défilé de la victoire

 

Ce qui est singulier, c'est qu'à mesure que le mot guerre est de moins en moins employé, on l'utilise pour des événements relevant de la sécurité intérieure (guerre aux trafiquants) ou de la santé (guerre au corona virus).

C'est ainsi que le mot guerre avait tendance à devenir une métaphore lorsque survint, il y a peu , un événement inattendu, sidérant, qui redonne au mot guerre toute sa justification, bien qu'un des belligérants parle d'opération spéciale : la tentative d'annexion de l'Ukraine par la Russie. Tout fait penser aux guerres à l'ancienne, telle celle de 14/18 : les tranchées, l'usage intensif de l'artillerie, les destructions massives, le sort  tragique réservé aux civils.

Est-ce à dire que la guerre est de retour en Europe ? Elle ne l'a jamais quittée : 32 conflits ont eu lieu depuis la guerre d'Algérie, les seules guerres de Yougoslavie (1991/2001) ont fait près de 200 000 morts.

Il faut se défaire de l'idée que guerre et paix se succèdent en alternance. La guerre traditionnelle prend de nouveaux visages, économique, culturel, cybernétique. Nous sommes d'une façon constante dans un état de violence civile et internationale. C'est avec raison que le président Macron, en 2018, écrivait dans Le Point: " Le vieux continent de petits bourgeois se sentant à l'abri dans le confort habituel, entrait dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite". Toutefois, si la partie la plus privilégiée de la nation a pu être surprise par ce retour tragique de l'histoire, il en est autrement pour l'autre confrontée quotidiennement à la rigueur des temps et à ce que Jean-Paul Sartre appelait "la morsure du réel ".

Tout compte fait, la sémantique importe peu. Soyons attentifs à ces violences qui n'osent dire leur nom ; à cet égard, l'exemple de l'Ukraine est édifiant : certains états s'affranchissent de l'état de droit, considèrent la violence, à leurs yeux, marque de virilité comme une forme naturelle de gouvernement et de relation avec les états démocratiques qu'ils agressent en raison de leur supposée décadence. Feraient-ils leur, l'éloge de la guerre de Proudhon dans son livre "La guerre et la paix" ? : " Salut à la guerre ! C'est par elle que l'homme, à peine sorti de la boue qui lui sert de matrice, se pose dans sa majesté et sa vaillance. C'est sur le corps d'un ennemi battu, qu'il fait son premier rêve de gloire et d'immortalité."

Pour être honnête, il convient de dire que Fourrier, comme Hegel ou Kant, ne sont pas va-t-en guerre et considèrent la guerre comme un passage obligé, temporaire, pour accéder à une civilisation policée mais il y met un lyrisme et une jubilation qui ne peuvent que nous heurter.

De grandes voix se sont fait entendre pour un plaidoyer pour la paix. Nous avons tous en mémoire, le grand discours de Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, le 14 février 2003 à l'ONU, s'opposant à la guerre que les Américains s'apprêtaient à déclarer sous un prétexte fallacieux : " Nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres, doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix."

Près de deux siècles auparavant, le 21 août 1849, Victor Hugo prononçait au Congrès de la paix, un de ses plus grands discours. Visionnaire, il avait vu la nécessité de faire l'Europe garante de la paix .

"Un jour viendra où vous ne ferez plus la guerre, un jour viendra où vous ne lèverez plus d'hommes d'armes les uns contre les autres....Savez-vous ce que vous mettrez à la place des gens de pied et de cheval, des canons, des lances, des épées ? Vous mettrez une petite boîte de sapin que vous appellerez l'urne du scrutin.

Cela n'empêchera pas, quelques années plus tard, celui qui l'envoya en exil, Napoléon III, de se lancer dans la tragique expédition du Mexique (1861-1867) et de déclarer la guerre à la Prusse.

Victor Hugo avait-il prêché dans le désert ?

 

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Le 8 avril 1951, la communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) est créée dans le but d'assurer une paix durable grâce au développement d'une solidarité de production du charbon et de l'acier. 

L'Europe était sur les rails.

 

Pierre Merlhiot

 



25/05/2022
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