Du creuset de la Nauze à la Faille de San Andréas
Un brin d'onomastique.
Les deux microtoponymes de ce billet
Rouchi, probablement mais sans certitude affirmée, viendrait de Rouchy. C'est un nom de hameau du Cantal, forme latinisée de roche. A priori, il paraît peu probable que Rouchi, parler picard du Valenciennois, soit la base formatrice du microtoponyme.
Le Moulin Rouge, il prend aussi la majuscule pour la deuxième partie de son microtoponyme. Il a dû, dans un passé lointain, être le moulin d'un sieur Rouge. Il n'a rien de la couleur rouge qui, aujourd'hui, pourrait le caractériser par le récent bâtiment de dépendance. Les moulins, souvent, ont pour épithète : vieux, neuf, brûlé, etc. Il les identifie. Plusieurs moulins ont pour toponyme le nom de leur occupant historique. Remarquons le Moulin de Jacques ou le Moulin du Mayne, mayne désignant le cadet.
Les deux patronymes des fondateurs de cette ouverture généalogique.
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Deux authentiques paysans du creuset de la Nauze. En obsevant cette image, de 1944, on remarque deux fortes personnalités.
Jean Lafon, trouvé aussi avec le prénom d'Amédée, naquit le 16/4/1871 à Laborie, écart de l'ancienne commune de St Amand-de-Belvès. Il décéda au Moulin Rouge, écart de Monplaisant, le 24 juillet 1949. Marie Malaurie, trouvée aussi avec le prénom composé de Marie-Lucie, naquit à Rouchie, aujourd'hui orthographié Rouchi, écart de la commune de Sagelat. Elle décéda à Siorac le 26/1/1960.
Jean Lafon et Marie Malaurie se sont épousés le 12/8/1899 à Monplaisant. C'est Eugène Lafon, alors maire de Monplaisant, qui recueillit les consentements réciproques. Eugène Lafon était domicilié au Barry de Fongauffier, c'était un homonyme, ou peut-être de la parentèle plus ou moins éloignée, de Jean-Amédée Lafon. Ce maire était de la famille Lafon [dite de Fongauffier] dont le plus prestigieux fut J-Baptiste Lafon, haut fonctionnaire, qui fut député du Sénégal et conseiller général de Belvès.
La maison natale de la fratrie Lafon. Photo P.F
Attardons-nous sur ces patronymes.
Lafon est un patronyme courant. Il fait référence à la fontaine. On trouve des Lafon un peu partout avec bien des subtilités orthographiques. Lafon peut aussi, dans sa construction, être l'agglutination de la et de fon. Jadis, pour désigner un personnage féminin, surtout pour les femmes seules, célibataires ou veuves, on utilisait souvent la. Parfois, c'était presque introduit péjorativement avec une grossière et stupide connotation primaire d'infériorité féminine. Ainsi, "la" Grèze devenait Lagrèze. Au masculin, on rencontrait moins souvent ce particularisme, Leprince, Leval, Letailleur, etc. On notera que cet emprunt de l'article en ouverture dissociée d'un nom ou d'un prénom, constitue une faute de français, j'ai croisé "le" Jacques. En occitan, ce n'est pas une faute, "le" Jacques désigne celui que l'on connaît bien et que l'on affectionne. On n'aurait pas dit "Le" Jacques Cartier s'est emparé du Canada. Le verbe populaire s'est donné licence pour dire, par exemple, La Madelon.
Malaurie. L'origine du patronyme "malaurie" vient du midi. Elle représente la forme agglutinée de mala-auria, c'est-à-dire mauvaise race. Ce surnom ironique dans sa lointaine historicité, est devenu patronyme. Cet enracinement lexicographique, pour les occitanistes, se perçoit dans l'intonation beaucoup plus aisément qu'en français. Bien des Malaurie ont fait leur chemin et, au sens propre, pour la saveur périgourdine, retenons l'ouvrage de Jean-Paul Malaurie, publié en 1998, L'homme du restaurant "Les écuries de la Passée" à Saint Cyprien. Avec une belle pointe d'humour, il ouvre son livre avec un adage manuscrit "La vie est dure, le ciel est haut, la terre trop basse, seule la table est la bonne hauteur !".
Image Google Map
Le Moulin Rouge, demeure monplaisanaise, presque cossue à l'époque, fut le lieu de vie de la famille Lafon. Là, ont été élevés les trois enfants qui n'ont jamais oublié le décor de leur enfance et ont tenu à venir s'y ressourcer. Le souhait de Marie-Lucie a été exaucé. Jamais, sa vie durant -et bien au-delà-, ne s'est brisée l'indivision qu'elle retint de tous ses vœux.
La place de la tour de l'horloge au cœur du centre de la ville de Danville, banlieue de San Francisco en Californie. Image Jon' ShakataGaNai' Davis. Wikipédia
Lucie et Amédée, bien sûr, étaient à 100 lieues d'imaginer que leurs arrière-petits-enfants iraient aussi loin de l'autre côté du grand fossé. Eux qui s'exprimaient parfaitement en français mais, néanmoins, avaient eu pour idiome maternel l'occitan, n'auraient probablement pas imaginé ce saut générationnel.
Les enfants de Marie-Lucie Malaurie et de Jean-Amédée Lafon.
Situons la fratrie du Moulin Rouge.
Tous les trois sont nés à Rouchi, lieudit de Sagelat, à 1 200 mètres du Moulin Rouge.
Jean-Lucien, il est assis sur l'image, naquit le 22/1/1904. Il décéda à Montignac le 26/11/1995. Les témoins, lors de l'enregistrement de sa naissance à l'état civil, furent Edouard Boileau, le forgeron du village, et Pierre Grafeille.
Jean-Lucien fut un attentif grand témoin de son siècle, siècle de progrès, mais, aussi, des deux plus tragiques et douloureuses déchirures de l'humanité.
Jean-Lucien, appelé par ses amis, Lucien, fut apprécié par ses multiples qualités d'où se distinguaient l'humilité, le bon sens, l'amour de la nature, le respect des générations et l'émerveillement de voir ses élèves devenir d'authentiques citoyens épris des valeurs qu'il leur inculqua.
Mieux que tout éloge, le témoignage de Pierre Gaillard, il fut son élève et aussi le maire de Saint Léon-sur-Vézère, entité qui compta autant dans la vie de Lucien, situera à quel point, ce brillant normalien, fin pédagogue, profondément choqué par les sévices et les blessures morales et psychologiques de son maître d'école, voulut, sa vie durant, affirmer toute la noblesse qu'il pouvait y avoir en étant doux et compréhensif, à devenir un digne héritier des Hussards noirs de la République.
1/8/1987. Lucienne et Lucien Lafon entourant leurs proches.
J-Lucien a épousé le 27/8/1931, Marie-Madeleine Delsouiller, une institutrice, fille de pharmacien montignacois. Ils ont eu une fille Lucienne. Elle décéda le 26/5/2020 à Thenon.
Pierre Gaillard, ancien maire de Saint Léon-sur-Vézère, président de l'A.N.A.C.R de Montignac
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Monsieur LAFON, c’est ainsi que les habitants de St Léon-sur-Vézère l’ont appelé durant toute sa vie par estime et respect pour cet homme intègre, "maître d’école" exemplaire qui a instruit plus de deux générations d’entre eux, pendant près de 30 ans. Il a été mon instituteur lors des années d’occupation, à l’école primaire de St Léon où exercait aussi son épouse dans les "petites classes" ; et, je suis persuadé que c’est grâce à sa compétence, sa grande conscience professionnelle que j’ai pu aborder avec l’instruction nécessaire, l’enseignement du second degré. Je me souviens qu’à l’approche de l’examen d’entrée en 6°, il consacrait quelques après-midi du jeudi (jour de repos à l’époque), à des séances de révision complémentaires.
À la retraite, le couple habitait la maison de Montignac, mais il ne manquait pas une occasion de revenir dans son village d’adoption pour rappeler à des anciens élèves, autour d’un café, les bons moments d’autrefois, avec un langage et une émotion qu’ils n’ont jamais oubliés. Plus tard, et jusqu’à sa disparition dans sa 92° année, ne pouvant plus se déplacer à son gré, c’est avec un réel plaisir qu’il recevait celles et ceux qui lui rendaient une visite d’amitié.
Pierre Gaillard
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Jean-André Lafon naquit le 31/10/1906. Il décéda à Condom le 31/1/2005. On notera que lors de l'enregistrement de sa naissance à l'état civil, Léon Merchandon, instituteur, et Augustin Randonnier, épicier, furent les témoins.
J-André, en famille et au pays on disait seulement André, a épousé, à Puycasquier, village gascon des confins de Lomagne, le 2/12/1942, Denise-Marie-Bertrande Dabadie. L'état civil retient, par erreur, la date du 4 décembre, mais l'épousée, professeur d'histoire et géographie, dans la France occupée, tenait au 2 décembre qui est la date d'Austerlitz... avec 137 ans d'écart. Peut-être voulut-elle, là, adresser un pied de nez au petit caporal autrichien, successeur bien indirect à François Ier d'Autriche.
Comme Lucien, son aîné, André avait une fascination pour son pays natal, pour Le Moulin Rouge, pour les familles de ce bassin de vie où, enfant, il fut écolier et noua avec ses camarades et amis, d'indéfectibles liens d'amitié. La Nauze fut, pour lui, non seulement un décor d'enfance et de jeunesse mais elle éveilla ses recherches de travaux. Il voulut que son moulin d'enfance, abandonné à ses fonctions premières, retrouve néanmoins toutes ses formes de vie par son ingénieux système gravitaire. André, ingénieur des travaux publics, fit carrière à la tête de la subdivision des Ponts & Chaussées, puis de l'équipement de Condom.
J-André et Denise.
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Amélie, dite Zézette, Lafon naquit le 6/1/1910. Elle décéda à Sarlat le 18/5/1984
Jean-Gabriel Delfaud, instituteur, et Augustin Randonnier, épicier, furent les témoins lors de l'enregistrement de sa naissance à l'acte d'état civil
Amélie épousa, à Monplaisant, le 22/9/1936, Jean-André Cervolle.
C'est Pierre Lafargue, maire de Monplaisant, qui a uni les mariés.
Jean-André Servolle était négociant en confections et tissus. Dans le pays, tout le monde l'appelait le commandant. André Servolle n'avait d'autres servitudes militaires que celles de son service obligatoire et ce surnom, il le traînait en héritage de Jean, son père. Ce dernier était un admirateur inconditionnel du commandant Rivière qui se distingua au Tonkin. A l'époque, on avait un regard différent d'aujour'hui sur l'outrage de la colonisation.
Curieusement, donc, Amélie est devenue, pour son entourage et ses amis, Zézette. Personne n'a retenu pourquoi. Amélie, après ses études à l'école primaire supérieure, c'était presque rare à l'époque pour les jeunes filles de la ruralité profonde, prit en compte la galerie sioracoise de confection et de tissus de son époux.
Amélie, sa vie durant, garda, elle aussi, un souvenir indéfectible de son hameau natal et elle aimait entretenir le lien qui l'y reconduisait
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Changeons de génération.
Jeanne-Lucienne Lafon, fille de Lucien et de Marie-Madeleine Delsouiller, voit le jour le 26/6/1932 dans cette bonne ville de Montignac-sur-Vézère. Elle comble de joie ses parents instituteurs à Saint Léon. Comme pour son père, pour ses connaissances, son prénom fut réduit à Lucienne.
Lucienne ne s'égara guère de Montignac où elle était connue comme étant la nièce du personnage d'exception que fut le bon et inoubliable Dr Eugène Raymond, personnage de la Résistance qui partit en captivité outre-Rhin. Les Montignacois l'envoyèrent répétitivement au conseil municipal et aussi par deux fois, non consécutives, au Conseil général de la Dordogne.
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Geneviève Lafon-Rossignol | Marie-Claude Lafon-Bonnafous | Jean-Noël Lafon |
Le carnet rose s'ouvre une seconde fois dans la descendance de Lucie et Amédée Lafon. C'est Geneviève qui, le 18/12/1943, à Condom, pousse son premier cri, dans la France occupée . L'ombre des jours trouve là, pour clore cet automne indécis, une lueur d'espoir. Geneviève, après avoir eu le Capes, a été nommée professeur de lettres, dans les Vosges, au lycée de Bruyères où elle est restée 2 ans, puis elle a été nommée à Valence d'Agen et a terminé, environ pendant 15 ans, au Collège de Balma, en banlieue toulousaine mais proche de son domicile de Flourens. Elle nous a prématurément quittés, le dimanche 4 octobre 2015, à Toulouse.
Marie-Claude, sa cadette, arrive dans une France libérée, un autre 18 décembre, celui de 1945. Elle sera inévitablement guidée par son aînée, partagera ses espoirs et ses attentes. Elle la vit partir avec une peine immense. Marie-Claude n'opta pas pour le professorat mais pour son cousinage. Elle fut documentaliste et, hasard de l'affectation ou choix délibéré, elle honorera, par son affectation, le Périgord de son lignage paternel. L'administration la nomma au lycée bordelais qui arbore le nom de Montaigne.
Il revint à Jean-Noël, de clore la génération, naturellement comme ses soeurs, en retenant le plagiat du 18 décembre, celui de 1948.
Jean-Noël a quitté les rives de la Baïse de son enfance et de sa jeunesse et c'est dans l'ancien Comtat du Venaissain, que la République a transformé en Vaucluse, que Jean-Noël s'est affirmé comme cadre bancaire. Il est, grâce à Isabelle, le passeur de génération .
Geneviève a épousé Antoine Rossignol, en 1978. Marie-Claude et Denis Bonnafous ont scellé leur union, également à Toulouse en 1978.
Jean Noël s'est marié en juin 1972 à Auch
Un échange bien calme entre Denis, l'époux de Marie-Claude, et Jean-Noël.
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La dernière génération.
C'est sur le rameau de Jean-Noël que la filiation de la famille continue avec Isabelle [née le 10/10/1973 à Auch] qui devint Stussi par mariage. Son hyménée avec Nicolas [né le 3/10/1973 à Vandoeuvre-lès-Nancy] fut célébré le 19/9/1998 à Aix-en-Provence. Le foyer s'est établi à Danville en Californie et il compte trois enfants : Marine 20 ans, Thibaut 17 ans et le plus jeune léo qui a 6 ans.
Isabelle avec Léo, son plus jeune fils, et son mari Nicolas.
Isabelle, après des études à la faculté de droit de Montpellier, a commencé à travailler dans une agence immobilière à Toulouse, embauchée à la suite de son stage de fin d’études (droit immobilier).
Aujourd'hui, Isabelle a une vie bien remplie. Elle se concentre sur ses activités entre les enfants, et les travaux manuels et artistiques. Elle se passionne pour la réfection, les travaux dans la maison et le jardin, et se lance aussi dans la création artistique.
Nicolas travaille chez Airbus Defense and Space, qui a créé une antenne en Californie. Il s’occupe de la partie commerciale, business development, et occupe un poste de Vice-président.
Thibaud, Léo et Marine
Marine
Léo et Thibaud
Nous sommes à 9 201 km de Rouchi, et du Moulin Rouge mais le passage générationnel est effectué.
Image "Le temps". |
Jacques Le Goff dans le Monde de l'éducation, juillet - août 2001, l'a parfaitement défini. " On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes ". |
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Ne cherchez pas qui est l'auteur de cette promenade mémorielle qui, au départ, se proposait d'honorer Jean-Lucien Lafon, ce pédagogue d'exception que beaucoup auraient aimé avoir pour guide, à l'école, certainement, mais aussi sur tous les chemins de leur vie. Ces feuillets sont un assemblage de contributions plurielles. En redécouvrant le personnage de Lucien Lafon, la tentation fut grande de réunir tous les rameaux de cette famille qui, par sa diversité et sa richesse, signe parfaitement des itinéraires de Terre de l'homme.
D'autres chemins mémoriels ne demandent qu'à être parcourus. Il appartient au lectorat de les ouvrir en rassemblant les souvenirs, les images et, pourquoi pas, en recherchant des appuis et de l'aide pour les conter.
Demain : Il y a 140 ans, le vent républicain buta autour de la vieille bastide fondée par Alphonse de Poitiers. |
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