Froid dans le dos
Le saviez-vous ?
Peut-être, mais je reviens dessus.
À peine vient-on de commémorer l'armistice de 1918 qu'on vient d'apprendre la résolution, après plus d'un siècle, d'une énigme restée jusque-là un mystère.
Tout le monde a entendu parler de l’offensive du Chemin des Dames, déclenchée en Avril 1917 à l’initiative du général Nivelle, offensive meurtrière et où 200 000 soldats français ont trouvé la mort. Ce devait être la dernière attaque qui nous ouvrirait les chemins de la victoire mais Nivelle a raté son coup, lui qui voulait en ressortir drapé d’honneur et de gloire. L’attaque commençait par un feu nourri d’artillerie. Une pluie d’obus se déversa sur la colline de Craonne, en contrebas du Chemin des Dames.
Les Allemands qui occupaient la hauteur, se sont terrés dans des creux en attendant que l’orage passe, se doutant bien que s’ensuivraient les vagues d’assaut de l’infanterie. Mais, voilà, notre brillant général n’avait, sans doute, pas pensé ou bien compris que l’ennemi caché dans des casemates, attendait, mitrailleuse au poing, les troupes françaises montant à l’assaut, d’où le carnage.
Un fait est passé inaperçu. Sur la pente de Craonne, au lieu-dit " plateau de Californie ", les Allemands creusèrent un tunnel dit " de Winterberg " de 5 m et 260 m de long, destiné à se protéger mais surtout à stocker armes, cartouches, grenades et fusées éclairantes. Trois cents Allemands se réfugient dans cet abri et un obus de 420 tombe sur l’orifice d’entrée.
Le tout s’effondre, les stocks de munitions et de fusées explosent et une fumée épaisse envahit le tunnel. A part une trentaine d’hommes, tous les autres se retrouvent prisonniers dans ce cul-de-sac. En vain, ils essaieront de percer le plafond bien trop épais et, à l’extinction progressive de leurs lumières, ils se retrouvent dans une obscurité totale, sans eau et une chaleur qui devient épouvantable. Ils meurent tous soit d’asphyxie, de déshydratation, certains perdent l’esprit, d’autres se suicident par balles ou armes blanches.
Dehors, la guerre se poursuit et le paysage devient méconnaissable.
Le petit village de Craonne a disparu sous le bombardement, il n’en reste que des débris.
L’existence de ce tunnel s’efface des mémoires, le relief d’origine est totalement bouleversé ; puis, la nature, au fil des ans, va reprendre ses droits.
Les fouilles officielles sont, définitivement, suspendues en 1935. Un homme, toutefois, originaire du pays et travaillant à Paris, se souvient de l’existence de ce tunnel. Archéologue amateur et passionné, il entreprend des recherches sur les lieux-mêmes et sans autorisations. Longtemps, il va chercher, surtout la nuit, pour ne pas se faire repérer et même par mauvais temps.
En 1995, à force d’étudier les archives de Vincennes, il tombe sur les plans d’emplacement du tunnel. Il reprend sa tâche mais, malgré sa connaissance des lieux, ne trouve pas l’emplacement. Ce n’est que beaucoup plus tard et à force d’étudier le lieu tellement remanié que l’apparence d’un trou en forme de V lui fait penser à la trace profonde laissée par un obus. Mais, avec ses outils de «jardinier», il ne peut suffisamment creuser et s’y reprend plusieurs fois, remettant, chaque fois, le terrain en état, pour qu’on ne découvre pas que l’endroit est fouillé.
Ses fils, s’étant pris au jeu, viennent participer et, un jour, ils remarquent des traces noires et des douilles en quantité. Ils pensent, à juste titre, qu’ils ont trouvé l’orifice du tunnel mais ne peuvent le dégager, en raison de l’épaisseur des gravats et la nécessité de ne pas laisser l’impression de fouilles.
Entre-temps, le père avait pris contact avec l’administration pour l’informer et celle-ci fit preuve de tolérance, sous réserve d’être tenue au courant.
Finalement, fin 2019, en plein dans la période des Fêtes, ils décident, une nuit, de s’y rendre mais, cette fois, avec une petite pelleteuse. Tout en prenant beaucoup de précautions, ils commencent à creuser et, au bout d’un moment, réalisent qu’ils sont en train de dégager l’entrée du tunnel. Ils arrêtent tout, ils vont en informer, ensuite, l’administration qui se rendra sur les lieux et, finalement, le tunnel est bien identifié.
Maintenant, tout est remis en l’état , l’armée allemande et le gouvernement ont été informés. Une délégation s’y rendra sur place, cet été, pour dégager l’accès et rapatrier les 250 morts toujours à l’intérieur.
Je vous ai raconté cela car l’histoire n’est pas banale mais, aussi, pour d’autres raisons :
La guerre de 14 nous réserve, peut-être, encore d’autres surprises qui sont autant d’horreurs.
L’acharnement de cet archéologue et de ses fils est venu à bout d’un mystère pesant dans le pays.
Moi-même, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de me promener sur ce magnifique Chemin des Dames, de descendre sur cette zone où se sont déroulés ces combats meurtriers et d’y reconnaître les séquelles de la guerre, d’arpenter le chemin qui descend au village de Craonne, d’y voir les restes de bouts de murs, l’emplacement de l’école, de la mairie… et je me dis que je ne suis pas passé très loin de ce tunnel de la mort et, peut-être, dessus.
J’en ai des frissons dans le dos !
Jacques Lannaud
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