Moi, petit périgourdin, j’ai pris une baffe.
Ce jour de juillet, "Terre de l'homme" va s'attarder dans la France de l'ombre, celle que nous ne voyons que très imparfaitement et qui compte bien des femmes et des hommes qui gagnent leur pitance dans des conditions difficiles, à la limite de l'insoutenable. Ils méritent tout notre respect et notre admiration.
Un jeune élève-conducteur d'un "transilien"* va nous livrer par la trame de ce billet, un émouvant et merveilleux pamphlet sur le racisme et la xénophobie. Personnellement, j'ai découvert la banlieue parisienne, il y a bientôt 60 ans, heureux moments d'un début de carrière, et, déjà, des propos stupides et haineux circulaient abondamment, d'autant plus que l'Afrique, alors, cherchait ses marques. Quand j'ouvrais et fermais les portes de la petite gare proche du Stade de France, où j'étais affecté, je voyais bien de nombreux Africains qui allaient vers leur lieu de travail ou en revenaient, mais je n'ai pas connu le climat décrit par ce jeune élève-conducteur qui nous laisse un message empreint d'humanisme. Pour l'heure, j'ignore qui il est. Je le salue pour la qualité de son fil de discussion.
P-B F
Formation d'un jeune conducteur
Image France-bleu.fr
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Le billet de ce jour sera consacré au ressenti d'un jeune élève conducteur de transilien*.
* Transilien est le nom du réseau de trains de banlieue de SNCF Voyageurs desservant principalement les gares d'Île-de-France. Wikipédia
Quand j’étais en formation de conducteur de train en 2000, j’étais à Creil. J’ai donc conduit le " premier " RER D du matin. Et j’ai découvert un autre monde. Je vous raconte en thread [fil de discussion].
10:54 AM · 23 nov. 2021·Twitter for iPad
Après Pierrefitte, le transilien dessert Saint Denis, le Stade de France, arrive à Paris-Nord, se glisse dans l'antre de la terre parisienne, dessert Châtelet, et réapparaît en surface Paris-Gare de Lyon.
J’ai commencé à conduire mes premiers trains avec mon moniteur assis à côté de moi. Dès les premiers mois, on te met « au manche ». C’est le meilleur moyen d'apprendre.
Et le dépôt de Creil avait en charge ce fameux RER. Le premier d’extrême matinée comme on dit.
Le train part avant 5h00 du matin du bout de la ligne D, de Creil. Direction Paris Nord dans un premier segment avant de finir au sud, à Corbeil Essonne. Aux premiers arrêts, pas grand monde. Chantilly, la Borne blanche, c’est très calme à ces heures matinales.
Mais à partir de Garges Sarcelles, j’ai pris une sacrée baffe. Le quai est rempli de gens. Mais vraiment beaucoup, beaucoup. Limite, on remplit la moitié de la rame. Ce qui, sur un RER D, fait vraiment du monde.
Paris-Nord
Au sud de Pierrefitte, la ligne dessert Saint Denis, le Stade de France, la gare souterraine de Paris-Nord. Elle continue en souterrain. Elle dessert Châtelet et atteint Paris-Lyon avant de revenir en surface. |
Et parmi les passagers qui attendent dans les frimas de la nuit, que des maghrébins, des noirs, des turcs… il y a très très très peu de blancs. D’ailleurs mon moniteur, devant mon étonnement, me dit « oui sur ce train, le seul blanc, c’est le conducteur du train ».
Pour que vous compreniez ma surprise, faut que je vous explique. J’ai grandi en Dordogne, école, collège, lycée, et DUT à Agen. Oui, j’ai bien sûr vu bien des gens de couleur. Je sais bien qu’en IDF, il y en a plus qu’en province. Mais jamais autant d’un coup.
Tous ces gens de couleur, c’est l’armée des ombres. C’est ceux qui nettoient les bureaux, les couloirs de métro, les trottoirs, ce sont les nounous, les cuisiniers… Ce sont ceux qui préparent tout, toute la vie de Paris. Ils montent dans ce RER car c’est le premier. Ils y finissent leur nuit, parfois, souvent. Arrivés à Paris Nord ou Châtelet, ils descendront, et s’éparpilleront vers leurs tâches respectives.
Ce matin-là, j’ai découvert une des immenses faces cachées de la capitale. Moi, petit périgourdin, j’ai pris une baffe.
J’ai vu ça aussi, ultérieurement, sur le RER B et sur le C. Mais jamais autant qu’à Garges, Sarcelles. Aujourd’hui, quand je croise un de ces employés de l’ombre, à l’hôtel, dans un bureau, ou ailleurs, je prends le temps de dire bonjour et merci.
Car je sais que eux, comme moi, on se lève tôt pour être au service des autres. Mais que pour eux, la vie est souvent plus dure car ils sont de couleur.
Si certains sont choqués que j’utilise les mots noirs, maghrébins ou autres, je vous invite à prendre ce train. Un autre moniteur m’a dit: « Il existe 195 pays dans le monde, et à Garges Sarcelles, il y en a 200 de représentés. »
J’y ai vu des juifs à papillotes, à côté de boubous colorés, des djellabas, des turbans hindous, des voiles, et aussi des jeans élimés.
Venez, vous y verrez la vie. Le mélange et le respect.
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