Souriez ! Vous êtes photographiés.
L'article de Pierre Fabre publié le 7 juillet et intitulé : Mais où est donc passée cette année ? illustré de deux photos de classe, a suscité de nombreux commentaires. La curiosité était au rendez-vous. On croit reconnaître un.e camarade de classe, on s'interroge sur un autre, on s'impatiente.
Dans cette recherche du temps passé, on sollicite l'aide de ceux qui se souviennent. On ne renonce qu'en désespoir de cause. Il faut s'y faire, ces photos garderont toujours une part de mystère.
Avoir partagé toute une scolarité n'est pas anodin : la camaraderie, l'amitié, quelquefois l'affection survivent au temps qui passe. Ce rituel de la photo de classe remonte au milieu du 19ème siècle, réservé alors aux classes prestigieuses. Il est, désormais, répandu dans tout le monde scolaire . Quelquefois guindé, compassé, il est devenu plus naturel.
Une classe en 1930 : le sérieux est de rigueur. Au milieu du XXème siècle, la photo évolue vers plus de naturel .
Il atteste, à la fois, de la transformation du milieu scolaire et de la permanence de l'institution.
Il est le reflet d'une histoire politique, culturelle, sociale de notre société.
Nous avons tendance, comme l'écrivait, avec talent, Maurice Carême, à faire de "L'école un lieu idéalisé.
L'école était au bord du monde
L'école était au bord du temps.
Ah ! que ne suis-je encore dedans
Pour voir au dehors les colombes "
Nous avons la nostalgie de cette école protectrice qui, d'une certaine façon, nous maintenait à l'écart du monde et à l'abri de ses aléas.
C'est en partie vrai mais, en aucun cas, elle ne constituait un sanctuaire. S'il est une institution qui entretient des liens étroits avec la société, c'est bien l'école avec laquelle nous ferons tous un bout de chemin .
Regardons cette photo prise en 1906 avec toute sa mise en scène : le maître au milieu, tous les élèves les bras croisés, à l'allure martiale, une citation patriotique au tableau qui traduit l'esprit de revanche après la défaite de 1870 contre les Prussiens.
photo 1 1934 photo 2 1951-1952
Les deux photos que nous propose Pierre, se ressemblent étrangement et, cependant, font référence à deux générations différentes qui auront connu la guerre.
Les élèves de la 1ère photo sont trop jeunes pour comprendre que les émeutes de 1934 sont les prémices de la tragédie de la 2ème guerre mondiale.
Ceux de la deuxième photo sont pour l'essentiel, nés après cette guerre, ils constituent le baby boom et vivent, ce que l'on a appelé, à tort, "les trente glorieuses" (1945-1975), période où la France se reconstitue, où il y a le plein emploi mais qu'il convient d'amputer de la fin de la guerre d'Indochine et de la guerre d'Algérie.
En regardant ces photos, nous aimerions savoir ce que sont devenus ces élèves. Issus pour la plupart d'entre eux des classes rurales et populaires, nombreux ceux qui ont pu accéder à la classe moyenne, s'élever au dessus de leur condition, rêve de leurs parents.
Je voudrais souligner ici le rôle déterminant des Cours Complémentaires nés d'une politique volontariste, d'une collaboration étroite entre élus locaux et enseignants annexés à des écoles primaires et placés sous la même direction. Cette politique a porté ses fruits, beaucoup d'entre nous doivent leur emploi à cette structure particulière, intermédiaire entre l'école primaire et les établissements d'enseignement primaire et supérieur, qui menaient en particulier à de nombreux concours administratifs : PTT, école normale..... Les Cours Complémentaires disparaîtront en 1960 et prendront successivement les noms de CEG, CES, Collège unique....
Cette politique, au bénéfice des classes modestes, on dirait aujourd'hui que c'était celle de l'égalité des chances.
On connaîtra sous le régime de Vichy, une régression : en 1940, l'âge de la scolarité obligatoire est abaissé, le DEPP (diplôme d'études primaires préparatoires) est créé et seule son obtention permettra d'accéder à l'enseignement secondaire (entrée en 6ème).
La création de ces 2 cycles a pour but de constituer une élite bien pensante, favorable au pouvoir en place, séparée d'une classe populaire vouée à des tâches d'exécution et dont il faut se méfier. Plus encore la suspicion à l'égard du corps enseignant, responsable aux yeux de Vichy de la défaite, est telle que de nombreux enseignants seront déplacés, révoqués, le Syndicat national des instituteurs (SNI) sera dissous le 16 août 1940, les écoles normales supprimées le 18 septembre de la même année. Le 3 janvier 1941, Alphonse Puyssegur, fervent collaborateur, écrit : "La jeunesse de la France a été pourrie jusqu'aux moëlles par l'enseignement".
Jean Zay, ancien ministre de l'Education et des Beaux arts sera fusillé en 1944 par la milice. A la libération, l'école retrouvera ses droits.
Jean Zay
C'est dans ce cadre social et politique, que les élèves, sans en prendre toujours conscience, ont passé leur scolarité, guidés par des maîtres exemplaires et bénéficiant, à proximité au chef lieu de canton, d'un éventail d'établissements de qualité. Faisant cet éloge, je pourrais être suspecté de flagornerie si une scolarité au cours complémentaire d'Eymet, ma présence dans des conseils d'établissement et l'exercice de ma profession ne m'avaient conforté dans mon jugement.
Tout le monde n'a pas pour ce premier cycle du second degré, les yeux de Chimène. Certains parlent de "maillon faible". Dans les années 1980, un parti politique parlait par dérision de la "République des PEGC" (professeurs d'enseignement général des collèges) faisant implicitement référence à la "République des professeurs" du cartel des gauches (1924-1926) dominé par trois têtes de Normale Sup : Edouard Herriot - Paul Painlevé et Léon Blum.
On voit bien là que l'éducation est un enjeu de société.
Alors comment se fait-il, qu'avec de telles lettres de noblesse, le métier devienne moins attractif ? Que le recrutement se tarisse ? Le diagnostic est vite fait : il faudrait une hausse des rémunérations et la reconnaissance symbolique du statut.
Ces photos de classes, avec des élèves sages comme une image, qu'on redécouvre par hasard dans un vieil album, dévoilent plus de choses qu'il n'y paraît. Mises bout à bout, elles nous parlent de l'histoire de notre société.
"Vous tenez entre vos mains l'intelligence et l'âme des enfants". Ainsi s'exprimait, le 15 janvier 1888, Jean Jaurès, dans sa "lettre aux instituteurs et institutrices".
Quels encouragements pour celles et ceux qui hésitent encore à se destiner à ce beau métier.
Pierre Merlhiot
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