Terre de l'homme

Terre de l'homme

"J'ai hiverné dans mon passé, revienne le soleil de Pâques" Guillaume Apollinaire

 

Capture d’écran 2022-03-30 à 12

 

         Pieter Brueghel l'ancien, paysage d'hiver avec patineur et trappe aux oiseaux (1565)

 

 

Les poètes, par nature, doués plus que tout autre de sensibilité, ont entretenu, avec le changement des saisons, une familiarité qui ne s'est jamais démentie.

 

Pensons à un Chateaubriand :

 

Levez-vous vite, orages désirés, qui devaient emporter René dans les espaces d'une autre vie !

 

Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer quelques vers de Baudelaire dans lesquels le temps qu'il fait et le temps qui passe deviennent une obsession :

 

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,

Traversée çà et là par de brillants soleils ;

Le tonnerre et la pluie ont fait de tels ravages,

Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 

Les fleurs du mal - L'ennemi

Charles Baudelaire

 

Ou bien dans Chants d'automne :

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres

Adieu vive clarté de nos été trop courts

 

Mais, dans ces  exemples, on voit bien que la forme reste allégorique et relève de figures de style.

 

Capture d’écran 2022-03-31 à 19

 

                                                     La Tamise prise par les glaces

 

Mais, toute autre est l'approche des poètes du Moyen-Age. On l'a vu, dans  l' article  (le printemps des poètes) avec le poème de Charles d'Orléans qui, par ailleurs, en contrepoint du thème du printemps, souligne, dans un autre poème, la répulsion que lui suggère l'hiver :

 

Hiver, vous n'êtes qu'un vilain

Eté est plaisant et gentil ...

Mais vous, Hiver, êtes trop plein

de neige, vent, pluie et grésil ;

On devrait vous bannir en exil !

 

Dans "Le Dit de la Rose", Guillaume de Machaut (1300-1377) exalte les vertus du printemps:

En moy que printemps renouvelle

Que l'erbe point drue et nouvelle

Que bois sont verts, qu'arbres fleurissent

Que toutes choses s'esjoissent

 

Rutebeuf (1230-1285) qui l'avait précédé, se lamente de l'arrivée de l'hiver.

 

Je suis comme l'osier sauvage

ou comme l'oiseau sur la branche ;

l'été je chante,

l'hiver je pleure et me lamente

et me défeuille ainsi que l'arbre

au premier gel.

 

La grièche d'hiver

 

 

Capture d’écran 2022-03-30 à 12

Pieter Brueghel l'ancien - Les chasseurs

 

Cette pensée binaire (printemps/été : la joie, la jeunesse, la santé et l'hiver : l'obscurité, la maladie, le silence et le froid) est caractéristique du Moyen-Age. On voit bien que par-delà l'exercice de style, ces poètes ressentent d'une façon charnelle, les douceurs et duretés du temps. Cela ne relève pas du hasard. On trouve, au Moyen-Age, la conjonction de deux éléments qui explique cette hâte, cette impatience à voir revenir les beaux jours.

C'est d'abord l'espérance de vie qui est très courte, 32 ans, pour ceux qui sont nés entre 1400 et 1500. On meurt jeune, très jeune, et on conçoit que la population pour laquelle l'idée de la mort est toujours présente, souhaite mettre à profit cette embellie et le printemps.

C'est ensuite un élément d'ordre climatique : entre la fin du XIVème siècle et le milieu du XIXème, on assiste à un refroidissement du climat appelé petit âge de glace : la perte moyenne de 1 degré Celsius est cependant suffisante pour un effet décuplé et cache de fortes amplitudes thermiques : hiver très froid et humide, inondations, mauvaises récoltes, maladies (1314-1316 sont des années de famine, 1407-1408 : fleuves gelés, arbres et vignobles détruits, 1481 : un froid polaire).

 

Le XVIème siècle ne fit pas exception. Ecoutons Ronsard

Méchantes nuits d'hiver ...

N'approchez de mon lit, ou bien tournez plus vite

 

et Joachim du Bellay  :

Je sens venir l'hiver de qui la froide haleine

D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.

 

On comprendra aisément, même si l'on ne tient pas compte des pandémies, que la brièveté de la vie cumulée avec les aléas climatiques, était de nature à accroître les misères des classes populaires qui vivaient dans le cadre d'une société féodale inégalitaire.

Mais qu'y a-t-il de commun entre Rutebeuf accablé par la pauvreté et la solitude, François Villon, meurtrier, menant une vie errante et misérable, condamné à mort puis banni, G de Machaut, compositeur au service de mécènes, en lien étroit avec la couronne et Charles d'Orléans au sommet de la hiérarchie sociale ?

L'art de nous parler de la pluie et du beau temps ?

Non, mais celui de nous faire partager leur fragilité dans une époque où une vieillesse précoce s'accommode mal des rigueurs de l'hiver.

 

Pierre Merlhiot

 

 

                                 Plus ne suis ce que j'ai été et ne le saurais jamais être ;

                                 Mon beau printemps et mon été ont fait le saut par la fenêtre.

                                 Clément Marot (1495 - 1544)

 

 

Pour écouter Vivaldi  - Les quatre saisons, L'hiver, cliquez ICI

 

Capture d’écran 2022-03-30 à 16

 

                              Venise , le lagon gelé - Gabriele Bella (1730-1799)

 

________________________

 

Demain Françoise-Marie reprend sa saga avec, à partir de ce mois, des épisodes hebdomadaires. Ils seront plus courts. Ce fut une entente entre l'auteure et le concepteur de "Terre de l'homme".

 



02/04/2022
10 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 219 autres membres