La permission la plus extraordinaire de la Grande Guerre
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Maison sagelacoise historique des Calès
Qui est Septime Gorceix, Limoges 7/10/1890- Paris 15/5/1964.
Professeur d’histoire et de géographie dans sa ville natale, il a, comme tant d'autres, connu le désastre de la Guerre de 14/18. Il a servi dans l’infanterie au 67e RI et fut capturé sur les Hauts de Meuse, le 24 avril 1915.
Ce professeur passa sa vie en témoignage. Avec son ouvrage, Évadé, il a obtenu le prix Marcel Guérin de l’Académie française.
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Septime Gorceix nous amène sur le chemin sinueux qui relie Galgenberg, aux portes de Wurzburg, à La Banne, tout petit écart sagelacois. Pour ce faire, il a fallu emprunter divers trains, contempler la paisible Suisse, être suspecté d'espionnage et, enfin, escorté de gendarmes, parvenir au pays natal pour ne pouvoir faire autre chose que marquer un rapide passage.
Non, le camp de Galgenberg à Wurzburg, en Bavière, n'était pas un havre de répit ni l'équivalence du Château du Haut-Koenigsbourg, immortalisé par Jean Renoir, en 1937, avec "La grande illusion". Dans cette forteresse, Jean Gabin, lieutenant Maréchal, et Pierre Fresnay, capitaine, étaient les involontaires hôtes d'Éric Von Stroheim, commandant Von Rauffenstein. Galgenberg était un important et banal camp de prisonniers de la Grande Guerre.
Renoir a voulu donner à ses geôliers, une dimension humaine ; mais, n'allons pas dire que les hommes du Kaiser avaient tous la délicatesse de Von Rauffenstein. Dans ces lieux de captivité, nos voisins germaniques n'avaient pas encore épousé, bon gré mal gré, le "chef d'œuvre" monstrueux, haineux et stupide de l'idéologie du Führer.
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Que se passait-il dans la tête des prisonniers de la Première Guerre mondiale, lors de ce terrible conflit. N'y avait-il pas dans cette incarcération, un dénouement presque salvateur, certes indécis et incertain, à l'affreuse boucherie qui fut le "chef d'œuvre" de Guillaume, de ses alter-ego, même vaguement républicains, pour qui la vie des humbles paysans et ouvriers comptait bien peu… voire pas. Les prisonniers ne sont plus là pour nous le dire… et, heureusement, encore moins pour se justifier. Gardons leur, nous qui n'avons pas connu ces heures terribles, l'immense respect qu'ils méritent et auquel ils ont droit.
Le billet de ce jour, un 11 novembre, s'inscrit dans ce devoir de mémoire que le pays suit depuis un siècle.
Attardons-nous, aujourd'hui, sur la toute petite histoire racontée par Septime Gorceix et sur l'incroyable itinérance empreinte de questionnements de son héros.
Pierre-Bernard Fabre
LA PERMISSION LA PLUS EXTRAVAGANTE DE LA GRANDE GUERRE |
Cette permission est à mettre à l’actif d’un soldat du 9ème régiment d’infanterie qui, comme chacun le sait, était le régiment agenais depuis 1877.
A cette époque, le recrutement était essentiellement régional, on retrouvait dans ce régiment des Gascons et des Limousins, il en fut de même lors de la mobilisation générale décrétée, début août 14.
C’est ainsi que, début août 1914, le soldat Pierre André Calès, né le 31 octobre 1882 à Sagelat, petit hameau de la commune de Belvès en Dordogne, avait été convoqué et incorporé le 10ème jour de la mobilisation à la caserne Lacuée d’Agen (1) le 9ème R. I. était en garnison.
Il y était resté jusqu’au 5 septembre, le temps d’y effectuer une rapide mais indispensable instruction au combat, avant son départ pour le front.
Il fut blessé, par un éclat d’obus, une première fois, le 11 septembre 1914 à Somme-Tourbe, à la fin de la première bataille de la Marne alors que le 9ème RI avait reconquis ce village, complètement détruit par les Allemands, lors de son avance victorieuse du 11 au 13 septembre qui devait voir la fin de cette bataille et la victoire quasi miraculeuse qui sauva la France d’une situation compromise.
Il avait été alors évacué sur Toulouse, avant de revenir au dépôt agenais d’où il était reparti vers le front, le 19 novembre, dans les rangs du 209ème(2) R. I., le régiment de réserve agenais, une fois terminé sa convalescence.
Le 12 février, il était plus sérieusement blessé par balle, à un bras, lors des combats de la côte 203, au bois de Sabot à Suippes (Marne) et fait prisonnier.
Il fut soigné à l’hôpital de Spire et versé au camp de Galgenberg dans les environs de Würzburg.
Le hasard voulut qu’il s’y trouvât en même temps qu’un historien connu de cette époque, Septime Gorceix,(3) sans qui nous n’aurions pas eu la fidèle relation de cette étonnante aventure, le héros de cette histoire étant trop modeste et trop peu soucieux de donner de la publicité à son exploit ; on l’aurait, d’ailleurs, au mieux accueilli d’un haussement d’épaule, ou, au pire, taxé de mythomanie, s’il s’y était aventuré.
Mars 1915. Dans ce camp bavarois, les prisonniers, certes captifs, avaient un sort beaucoup plus enviable que leurs camarades dans les tranchées, [qui allaient couvrir de gloire leurs généraux chargés d'étoiles], et dont les humbles noms, dans la ruralité profonde, sont égrenés le 11 novembre lors du devoir de mémoire.
Voilà comme la raconte cet historien :
« Au mois de janvier 1916, nous étions 3 à 4 mille prisonniers français au camp de Galgenberg, en Bavière, j’entendis un camarade me dire ; il y a un type qui ne manque pas de culot. Un péquenot du Périgord qui s’appelle Calès est venu demander au sergent-chef, en montrant une lettre de sa femme faisant état de problèmes familiaux, une permission pour la France, il a déguerpi en vitesse parce que l’autre se levait pour lui botter le train. Il est alors allé trouver l’autre sergent-chef qui venait de la Kommandantur, celui qui parlait le français, et qui lui a dit que c’était contraire au règlement et qu’il faudrait une grâce spéciale du Kaiser lui-même, mais, il voulait bien se charger de faire parvenir la lettre au Kaiser avec une supplique en sa faveur.
Des prisonniers français, au camp de Galgenberg, en novembre 1915, ont conçu un bonhomme de neige... et, audace extraordinaire des captifs, l'ont coiffé d'un casque à pointe.
Le 23 février 1916, une nouvelle surprenante circulait dans le camp, un prisonnier avait obtenu une permission signée du Kaiser, j’allais trouver ce Calès qui me confirma la nouvelle sans en être autrement étonné, il devait être acheminé sans délai avec un titre de permission de dix jours, plus les délais de route pour lesquels il fallait bien compter 3 jours pour l’aller et autant pour le retour.
Il devait également être en tenue réglementaire, celle de l’armée française lors de la déclaration de guerre en 1914.
Le sergent-chef français qui présidait notre société de secours du camp, fut avisé de rechercher une tenue convenable, mais Calès fut très mal reçu lorsqu’il s’y présenta, il fut traité de salopard et renvoyé sans les effets qu’on ne prit même pas la peine de rassembler.
Comme j’avais des amis à cette société, j’intervins en sa faveur et je me portai garant de la bonne foi du permissionnaire en précisant qu’il était un paysan assez borné, avare de paroles mais brave homme et heureux de cette chance inespérée. Au comité de cette société, on avait la crainte justifiée que ce malheureux naïf ne soit l’instrument de menées obscures dont, à vrai dire, on ne saisissait pas le sens et la portée.
Finalement, mes arguments portèrent et Calès obtint un pantalon et un képi rouge, une capote bleue, le tout constituant une tenue réglementaire.
Contre le titre de permission portant la signature du Kaiser qu’il a voulu conserver par prudence, le commandant du camp a remis à Calès une permission par grâce impériale écrite en allemand et également traduite en français.
Le 24 février, après s’être présenté au commandant du camp, Calès était conduit au train, je lui demandai ce qu’il comptait faire, une fois en France, il me répondit avec une prudence toute paysanne, qu’il ferait ce que l’on lui commanderait.
A cette époque, les rares nouvelles qui nous parvenaient de la bataille de Verdun occupaient toutes nos pensées et nous ne pensions plus à Calès, lorsque celui-ci fut de retour bien avant les 10 jours qui lui avaient été accordés.
Nous fêtâmes le retour du héros, mais la plupart d’entre nous étaient indignés de la diminution de cette permission par les autorités françaises qui laissa le prisonnier seulement trois chez lui au lieu de dix.
Calès nous raconta, alors, son voyage.
Il avait pris l’express Berlin-Constance, accompagné d’un territorial allemand ; arrivé en Suisse, il fut ovationné par les autres voyageurs ; à la frontière française, un gradé lui indiqua de se présenter aux autorités militaires qui l’attendaient en gare de Lyon-Brotteaux, mais avant cette formalité, Calès, une fois arrivé à Lyon, crut de son devoir d’aller rassurer l’épouse d’un camarade de camp chez qui il fut bien accueilli et restauré, puis il se rendit comme on l’y avait engagé devant les autorités de la place de Lyon où l’accueil ne fut pas aussi chaleureux, le commandant furieux le fit boucler pour la nuit, en lui confisquant son pantalon pour qu’il ne s’enfuie pas !
On lui expliqua ensuite que les ordres venus de Paris spécifiaient qu’il devait rester 3 jours à Belvès, au lieu des dix qu’avait autorisés la permission du Kaiser.
Un sergent l’accompagna jusqu’à Limoges et un autre prit le relais pour le trajet Limoges-Périgueux puis Belvès qui se fit avec une voiture réquisitionnée.
Pendant ces trois jours à Belvès, il ne fut pas quitté d’un instant par le cerbère désigné pour le surveiller et dut se présenter, chaque jour, à l’appel du 96ème régiment territorial en garnison à Belvès.
Son retour se fit par le même trajet, dans les mêmes conditions d’encadrement par l’autorité militaire qui le laissa à la frontière suisse ; il fut également fêté en retraversant ce pays et dut refuser de nombreuses invitations à se restaurer, il accepta cependant celle du commandant de la place de Genève, puis un gradé allemand l’attendait à la frontière allemande et il fut reconduit au camp de Würzburg.
Juillet 1915. À Galgenberg, comme dans tous les pays que la guerre désolait, on souffrait certainement de l'éloignement des familles, de l'effroyable listage des morts, on pensait sans aucun doute à ceux qui s'étripaient pour la seule gloire des généraux ; mais, au moins, là, le lugubre et tragique cliquetis des armes et le son du canon ne venaient pas jusque là.
Dès qu’il m’eut donné les grandes lignes de son extraordinaire odyssée, les questions que je lui posais, ne me permirent pas d’apprendre des nouvelles essentielles sur la situation en France qui nous importaient alors au premier chef, puisque nous en étions privés car nous n’avions que les communiqués victorieux allemands concernant Verdun.
Le commandant du camp lui demanda pourquoi il avait écourté sa permission, il répondit simplement qu’il avait obéi aux ordres des autorités françaises.
Je n’ai pas voulu raconter cette aventure, pourtant bien fixée dans ma mémoire, sans avoir retrouvé son héros, je m’étais ensuite évadé de ce camp et j’avais complètement oublié son nom.
En 1937, un heureux hasard me permit de retrouver son nom et son adresse et je fis le voyage jusqu’à Belvès, où je le retrouvai, il tenait avec son épouse une boutique de produits agricoles : La coopérative belvésoise.
Il me communiqua les lettres qu’il avait échangées avec sa famille et me fit part d’un carnet qu’il avait tenu pendant sa captivité, il me confirma la bonne foi dont il avait fait preuve au cours de cette étonnante aventure, ce dont je n’avais jamais douté.
Cette aventure dont je garantis l’authenticité dans les moindres détails, demeure énigmatique à bien des égards, au vu de la situation du moment. »
Comment expliquer les mobiles auxquels les Allemands ont obéi ? Il est vrai qu’étant donné l’esprit de discipline hiérarchique et de respect du règlement caractéristiques de l’armée allemande, cette requête loufoque a pu remonter jusqu’à l’autorité suprême.
S’agissait-il d’une manifestation d’humanité en ces temps de haine et de fureur ? C’est peu probable.
S’agissait-il d’une colossale plaisanterie de l’État-major impérial qui a peut-être été amusé de cette désarmante naïveté ? C’est possible.
Pourquoi les autorités françaises l’ont-ils laissé repartir dans sa condition de prisonnier de guerre ? On ne sait pas, mais on peut dire que cette plaisanterie ne fut pas à leur goût.
Calès, fut-il un enjeu innocent dans la guerre secrète qui faisait aussi rage entre les services spécialisés des deux pays ? C’est bien difficile à déterminer ; en tout cas, cela ne fut pas perçu par le protagoniste de cette histoire qui fut largement dépassé par l’événement et qui profita simplement de la chance que la providence lui avait accordée.
On peut juste affirmer, sans se tromper, que notre brave poilu du 9ème R. I. puis du 209ème d’Agen, fut l’heureux et l’unique bénéficiaire de la plus étrange et la plus extravagante permission de la guerre 14-18.
Notes :
(1) L’ancienne caserne des Carmes fondée en 1824 devint caserne Lacuée en 1877 en hommage à l’illustre Agenais, Lacuée, comte de Cessac, ministre de l’administration de la guerre de Napoléon de 1810 à 1813, il était l’oncle des deux héroïques colonels Lacuée. Cette caserne fut désaffectée en 1947 pour laisser la place à la cité administrative Lacuée en 1950, on peut toujours y voir une stèle commémorative à la mémoire des morts du 9ème R. I., face à la place de Verdun.
(2) Septime Gorceix avait indiqué le 309ème, mais l’anamnèse de cette histoire plaide en faveur du 209ème, d’abord parce que ce régiment de réserve avait bien été constitué à la hâte à Agen, dans les premiers jours de la mobilisation générale du 4 août 1914, d’autre part la blessure de Calès, le 12 février 1915 au bois de Sabot à Suippes (Marne) où le 209ème avait été engagé et décimé par cette bataille meurtrière, confirme bien cette hypothèse. Ce régiment fut dissous le 26 mars 1917 alors qu’il était commandé par le lieutenant-colonel Viard.
(3) Septime Gorceix était originaire du Limousin, il dit s’être senti en sympathie avec le périgourdin Calès par le patois limousin qu’il pratiquait à cette époque, proche de celui du Périgord.
Il fit œuvre d’historien entre les deux guerres, il a en particulier raconté ses évasions dans Évadé (Des hauts de Meuse en Moldavie)
Les images de Galgenberg à Würzburg, par on ne sait quel miracle, sortent de Mémoires de guerres du Var.
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