Lo regent
Jean Jaurès prononcera le célèbre "discours à la jeunesse" au lycée d'Albi en 1903
"Lo regent" : en milieu rural, ce mot occitan était encore employé dans les années 1950. J'avoue que, lorsque je l'entendais, je trouvais matière à éprouver une certaine fierté : ce mot avait traversé des siècles sans prendre une ride ; il y avait en lui une sorte d'estime et de respect pour la profession d'instituteur, mot noble mais conventionnel et moins chargé d'histoire.
Lo regent désignait au XVIème et XVIIème siècle, le professeur chargé de l'instruction des enfants dans un collège.
Il avait un synonyme : "le pédant", mot qui eut un tout autre parcours. Dès le XVIIème siècle, par glissement sémantique, il peut désigner à la fois, comme l'indique Antoine Furetière (1619-1688) : "L'homme de collège qui a soin d'instruire et de gouverner les jeunes, de leur enseigner les humanités et les arts " mais aussi "la personne qui fait un mauvais usage des sciences, qui les corrompt, les altère et qui les tourne en mal".
Dès lors, les critiques vont s'en donner à coeur joie avec ce personnage qui fait étalage de son savoir, étale une érudition usurpée et fait preuve de suffisance.
Déjà, Montaigne ( 1533-1592), dans "Les Essais", chapitre "Du pédantisme", prend à son compte le jugement de Joachim Du Bellay "Mais je hais par sur tout un savoir pédantesque ".
Cyrano de Bergerac (1619-1665) présente une caricature du savant dans son ouvrage "Le pédant joué".
Mais, c'est surtout Molière, dans "La critique de l'école des femmes" et "Les femmes savantes", qui fera une satire sans concession du pédantisme. A cet égard, dans l'acte 4 scène 3 de "L'école des femmes", Clitandre va faire un long réquisitoire à l'adresse de Trissotin, le bien nommé.
On a l'embarras du choix :
Gens qui de leur savoir paraissent toujours ivres
Riches, pour tout mérite en babils importuns
Et inhabiles à tout, vides de sens commun
Et pleins d'un ridicule et d'une impertinence
A décrier partout l'esprit et la science "
ou bien
A se bien barbouiller de grec et de latin
A se charger l'esprit d'un ténébreux butin.
La Fontaine n'est pas tendre non plus envers le pédant dans sa fable : "L'écolier, le pédant et le maître d'un jardin" quand il dit : "Je ne sais bête au monde pire que l'Ecolier si ce n'est le pédant".
"Le corbeau et le renard " : j'aurais pu, imitant La Fontaine, choisir pour mon article le titre "Le pédant et le régent". J'ai préféré garder le mot occitan Lo régent car il préfigure la place qu'allaient prendre en France, l'école et le collège dans les communes et les cantons.
J'ai remarqué dans Terres de Nauze et Terre de l'homme, l'éloge fait par de nombreux membres à l'adresse de leurs enseignants.
Si l'on en croit certains, ce temps-là n'est plus : place au discours catastrophe, à la fin de la culture, à la baisse du niveau des élèves, au désarroi des maîtres en manque de moyens et de considération. Pour autant faut-il se résigner ?
Ecoutons plutôt ceux qui ont foi en l'avenir. Philippe Meirieu : "Le seul événement qui fait grand un être c'est quand il accède à la compréhension du monde. La connaissance alors ne l'alourdit pas, elle l'allège."
Mais, c'est dans "Vis ma vie d'instit" (2015) de Lucien Marboeuf que j'ai trouvé le plus bel hommage à l'éducation :
"L'époque n'est pas que des polémiques...sur la méthode globale, sur le poids des cartables.....c'est aussi et surtout des coeurs qui battent....des enfants chargés d'émotion, des instits remplis de conviction mais aussi de doutes, des parents avides de certitudes et de sens ".
Je viens de m'apercevoir qu'à trop user de citations, c'est courir le risque de tomber dans le travers que l'on veut dénoncer ; mais, quitte à passer pour pédant, je ne saurais vous cacher plus longtemps tout le plaisir et les bienfaits que j'ai retirés de ce métier.
J'ai fait une rencontre : celle du plaisir d'enseigner et celle du plaisir d'apprendre.
photo Mélanie Pistolozzi (revoir l'article La tête dans les nuages Terre de l'homme 23 juin 2021)
Il me vient à l'esprit une image, celle d'élèves dans une cour de récréation, la maîtresse auprès d'eux, intrigués, les bras tendus vers le ciel où ils découvrent, pour la première fois, un phénomène naturel : des nuages iridescents.
Image idyllique sans doute, mais c'est l'école où l'on aimerait être, celle où le régent d'autrefois au savoir parfois incertain, a cédé la place au professeur d'école à bac+ 5, en passant par les austères "hussards noirs" garants des valeurs de la République.
Cette école, à l'image de tant d'autres, vous la reconnaîtrez aisément : elle est à flanc de coteau, tout en bas s'écoule un ruisseau.
L'école était au bord du monde,
L'école était au bord du temps.
Ah ! que ne suis-je encor dedans
pour voir, au dehors, les colombes !
Maurice Carême
Pierre Merlhiot
Suzanne Lacore (1875-1975) fut institutrice en Dordogne de 1894 à 1930. Elle fut nommée par Léon Blum, sous-secrétaire d'Etat à la santé publique chargée de la protection de l'enfance
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