Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 24. Saga de Françoise Maraval

 

 

 

 

DE BELLES GENS

 

Été 1917

 

Résumé de l'épisode précédent

 

En Russie, le parti bolchevik s’organise sous l’impulsion de Lénine et de Trotski.

En France, la guerre piétine et des mutineries se développent contre l’autorité militaire.

Arthur est détaché à Saint-Cyprien dans une exploitation forestière.

Alice est sur un petit nuage : Marcel et elle forment un vrai couple sans être mariés.

 

 

Le jeune Jeantou Maraval est en vacances. Il va avoir le temps de revoir les copains qu’il a un peu négligés, pendant l’année scolaire. Son père travaillant dans les bois, sa mère partie à l’hôpital de Limoges, il a vite fait d’organiser une escapade à Fages, lieu de rencontre haut perché et idéal avec son château en ruines et ses grottes. La journée est magnifique et les amis sont au rendez-vous. Ils se sont rassemblés en haut du cimetière et ils ont emprunté le petit chemin qui mène aux grottes. Là-haut sur le plateau, deux camps s’affrontent et une bataille est engagée. Qui va gagner ? Les armes sont des bâtons bien taillés en guise d’épée et des frondes d’une portée considérable.

 

             

La guerre des boutons » de Yves Robert . Critique DVD – L'heure de la sortie

 

La guerre des boutons

                                                                                                                                                    

L’armée de Jeantou, est moins forte qu’il ne l’avait pensé. Ses compagnons manquent de niaque, pourtant il leur lance des encouragements sans discontinuer mais les adversaires les obligent à reculer, reculer et  reculer. Attention ! L’armée en déroute est au bord du précipice et, au-dessous, ce sont les entrées des grottes gardées par d’énormes blocs de pierre. Jeantou le sait, il prévient les copains mais un fantassin adverse lui passe son épée entre les jambes, le malheureux est déséquilibré et disparaît dans le vide. Un cri de douleur s’élève et envahit tout le coteau. Notre général est tombé sur un rocher, sa jambe gauche  laisse apparaître une plaie béante.

Qui avertir à cette heure-là ? Tout de suite, Jeantou pense à Fonfon, son oncle : des copains vont le prévenir. Au bout de plus d’une heure, le jeune oncle arrive en compagnie de Milou et d’Émile Veyssière, le garagiste, qui, maintenant, est aussi ambulancier. Le blessé est descendu au village sur une civière et emmené en ambulance, à l’hôpital de Sarlat.

                                                                                                                                                        

Le soir, de retour à leur domicile, Arthur et Emma trouvent Fonfon qui leur annonce la mauvaise nouvelle : une épreuve supplémentaire à surmonter. Arthur ne peut pas se libérer, le règlement n’a rien prévu… Aussi, dès le lendemain, Emma se fait conduire à Sarlat et c’est Louis Janot qui, une fois de plus, se propose pour l’emmener.

Jeantou a été opéré. Il a une triple fracture dont deux avec une plaie ouverte. Emma est reçue par le vieux chirurgien qui a opéré Jeantou, dans la nuit.

 

            - Votre enfant a une fracture du fémur juste au-dessous de l’ancienne fracture qui était déjà proche du genou, il a aussi une double fracture ouverte du tibia et du péroné, dessous l’articulation du genou. J’ai nettoyé la plaie et fait une excision des tissus dévitalisés. Les fragments osseux visibles hors de la peau, ont fait l’objet d’une union osseuse à l’aide de plaques métalliques, de vis et de clous. Jean a un plâtre sur le fémur mais pas sur la partie inférieure de la jambe, en raison de la plaie que nous allons surveiller durant deux ou trois semaines, puis il aura des béquilles pour au minimum  huit semaines. Il ne faudra pas qu’il prenne appui sur cette jambe. Après, on verra…

 

Arthur attend le retour de son fils, il ne se déplacera pas à Sarlat car il ne se sent pas capable de se contenir. La famille prend des nouvelles de l’enfant, discrètement auprès d’Emma. Revenu route du Bugue, Jeantou passe du fauteuil au lit et du lit au fauteuil. Pour rester avec son fils, Emma ne participera plus aux repas dominicaux, pendant au moins deux mois.

 

En attendant, Arthur se soulage sur la cognée. Pendant ses jours de repos, il accompagne Auguste en tournées de livraisons et arrive à lâcher prise, provisoirement. Tout au long du trajet, dans la campagne, il voit les femmes travailler dans les champs, aidées de leur père ou de leur beau-père tous âgés de plus de 50 ans. Quand ils sont en permission, les soldats aident de leur mieux. Il est temps que cette guerre prenne fin. On rencontre la couleur du deuil partout. Certains grands blessés sont de retour dans les familles, heureuses de les revoir mais conscientes de la charge supplémentaire qu’ils occasionnent.

 

 

2

 

                                                                                                                                            

En ce mois de juillet, le blé est mûr. A Moncrabou, sur les terres de Clodia, l’amie d’Auguste, la moisson est organisée un dimanche. Auguste, toujours robuste et infatigable, a enrôlé Arthur et Fonfon. Les femmes du secteur y jouent un rôle déterminant et c’est avec des faucilles que le blé est coupé et des bras vifs et agiles le mettent en gerbes. La journée est magnifique et, le soir, quand une partie des gerbes est arrivée à la ferme, un repas est servi et il est surtout bien arrosé. Arthur, placé à côté d’une Belle, retrouve sa jeunesse et sous l’action de la fatigue et du vin, il oublie les convenances ; il emmène sa voisine de table, certes consentante, un peu à l’écart, au vu de toute la tablée.

Entre Moncrabou et la route du Bugue, il n’y a qu’un pas et Emma est tout de suite informée de la  conduite de son mari. D’abord, elle n’a pas voulu croire à tous ces ragots mais le coupable, interrogé,  a avoué  et a exprimé ses regrets.

            - Mon ami, tu ne vas pas t’en sortir comme cela. Et en plus, tu donnes le mauvais exemple à Fonfon.

Emma a fermé la porte de sa chambre à son mari qui doit dormir sur un fauteuil occupé par le fils durant la journée. Le fautif a pris ses repas quelque temps chez ses parents. Auguste a eu droit aussi à des reproches  et les échanges verbaux se sont limités à l’essentiel.

Jeantou junior s’amuse sous cape, de cette situation, il ne connaît pas la raison de la brouille entre ses parents mais il comprend que la situation est grave.

Emma accepte d’avoir Arthur à ses côtés, le 27 août 17, pour l’enterrement de son grand-père François Borde. Avec le départ du pépé, c’est l’enfance et la jeunesse d’Emma qui s’en vont définitivement. Elle va toujours aller à « la gravette » pour surveiller et récupérer la comptabilité de la forge, en attendant que la vente de cette dernière soit effective. Après la cérémonie, elle laisse comprendre à Arthur qu’il peut reprendre sa place d’époux s' il le souhaite et l’intéressé ne se fait pas prier.

 

Après de nombreuses recommandations : d’accord, d’accord, d’accord, Jeantou a le champ libre. Arthur a emprunté une des voitures de l’hôtel de la Poste et, avec Emma, ils sont partis à Limoges chercher Marcel. En effet, l’oncle va beaucoup mieux et bénéficie d’une autorisation de sortie d’un mois. L’enfant qui vient d’avoir neuf ans, est devenu expert dans le maniement des béquilles, toujours nécessaires à ses déplacements. Il en profite pour aller voir si les copains sont à la « planque de Fissou » et, par bonheur, ils y sont. Jeantou reste tranquille un bon moment et, n’y tenant plus, après quelques échauffements, il se retrouve au milieu des copains. L’expédition doit traverser le petit ruisseau ; il n’hésite pas mais ses béquilles s’enfoncent et il ne parvient pas à se dégager. Encore une fois, il tombe sur des rochers placés dans le lit du ruisseau. Cette fois-ci, c’est tout le vallon qui l’entend  pousser son cri de douleur. On court chercher Fonfon et la famille Veyssière et l ‘ambulance prend la direction de l’hôpital de Sarlat.

 

Cette fois-ci, c’est plus grave, Sarlat s’avoue incompétent, il faut aller à Bordeaux. A leur retour de Limoges, Emma et Arthur sont informés par Fonfon, installé dans la maison de son frère puisque Jeantou avait laissé la porte ouverte : il n’y a pas de voleur à Saint-Cyprien ! Une fois de plus, Arthur se retient de rentrer dans une colère dévastatrice ; ses exploits personnels encore présents dans tous les esprits, l’obligent à se maîtriser. Demain, Emma ira à Bordeaux…

Elle y reste quelques jours, après avoir recueilli l’avis du chirurgien :

 

            -Madame Maraval, les fractures de la jambe gauche de votre fils sont complexes. Les anciennes fractures ne sont pas encore consolidées et il y a aussi une fracture du plateau tibial, destruction du ménisque et des cartilages et, enfin, lésions des ligaments croisés. Je n’ai pas pu récupérer l’articulation du genou. Sa jambe gauche sera plus courte que la jambe droite et complètement raide : il boitera. Le moment venu mais il devra porter des chaussures orthopédiques avec un talon compensé, lesté, pour éviter que la jambe ne se courbe. Mais nous verrons cela plus tard, nous n’en sommes pas là. Je vous verrai régulièrement. Je garde votre fils Jean pendant au moins un mois. Je lui ai infligé une leçon de morale dont il devrait se souvenir longtemps…

 

 

3

 

A son fils, Emma a fait le compte-rendu de son entretien avec le chirurgien : il en connaissait le contenu depuis le sermon que le médecin lui a servi. Elle a pu joindre son mari à l’hôtel de la Poste pour l’informer de la situation : elle reste encore quelques jours à Bordeaux.

La ville n’a pas changé depuis qu’elle y était employée chez les Anderson. Au début de la guerre, ses anciens patrons sont repartis en Grande-Bretagne, à Londres. Ils ont échangé quelques lettres au début et, depuis quelque temps, plus rien. Elle s’est promenée dans la ville, dix ans déjà qu’elle en est partie.

La Cypriote multiplie les allers-retours et fait aménager, chez le menuisier Tabanou, un fauteuil, pour le retour de Jeantou. L’enfant va manquer la rentrée scolaire d’octobre : il ne faut pas prendre de risque supplémentaire, on verra l’année prochaine...Quand Emma se regarde dans la glace, qu’elle évite de plus en plus, elle voit une femme vieillie et fatiguée, une femme de trente ans qui, sans tout cela, devrait être splendide. Il n’est pas question de baisser les bras mais, au contraire, de faire face. Quand elle prend des nouvelles de ses voisins plus ou moins proches, quand Auguste de retour de ses tournées de livraisons, raconte ce qu’il a vu ; beaucoup de misère, beaucoup de souffrance, Emma se dit qu’en définitive elle n’est pas seule à avoir des soucis. D’une manière générale, elle a diminué les tarifs de transports des différentes marchandises et, dans certains cas qu’Auguste présente comme désespérés, elle ne fait pas payer. Ce qui est important, c’est qu’elle rentre dans ses frais. Une fois Auguste payé, il ne reste pas grand-chose. L’essentiel est de pouvoir envoyer quelques colis à Henri. La forge rapporte encore et ce sont les deux employés les plus anciens qui la font marcher, les plus jeunes étant partis au front. Elle partage les bénéfices avec Marcel, le titulaire de la forge et le fruit de la vente, par contre, sera divisé en trois parts égales : Henri a droit à sa part d’héritage.

 

Arthur est payé comme un soldat dans la Territoriale et ramène le « prêt » à Emma. C’est elle, la patronne, c’est elle qui tient les comptes. Le soldat ne s’en plaint pas : il ne manque de rien mais son tabac a subi quelques restrictions.

 

Marcel se fait dorloter par Alice qui déborde de vitalité alors que le moral général des adultes de la famille est au plus bas.

                                                                                                                                                        

Le patriarche a deux préoccupations, la santé du petit-fils et son avenir :

            - Un enfant si beau ! Quel dommage !

 

et le couple que forment Alice et Marcel. Tous les soirs, au fond de leur lit, Maria et Jeantou senior se demandent ce qui se passe exactement dans le grand lit de la chambre voisine. Un enfant peut-il venir de cette union ?

Maria pense qu’une naissance serait souhaitable pour sa fille ; par contre, le père n’en est pas persuadé…

 

Un soir de pleine lune, Maria, sur la pointe des pieds, ouvre délicatement la porte de la chambre de sa fille. La pièce est bien éclairée, puisque Marcel ne veut pas que les volets soient fermés. Ils sont là, tous les deux, dans le grand lit, proches, très proches et, sur leur visage détendu, on ne peut  lire  que du bonheur.

 

 

Françoise Maraval

 

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22/05/2022
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