Terre de l'homme

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"De belles gens" volet n° 50 de la saga de Françoise Maraval

 

 

DE BELLES GENS

 

 

Épisode 50

 

 

 

 

1936

 

 

 

Rue de la mairie, la stupeur qui a suivi le décès de la petite Marthe s’est atténuée mais quand on voit les enfants Marchive, le traumatisme remonte à la surface.

 

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Sur cette photo prise au jardin, les six enfants sont là :

 

- au premier rang, de gauche à droite, les petites dernières Raymonde et Hélène,

- au deuxième niveau, Jean, l’homme de la famille,

- au dernier rang, les aînées, Aimée, Clémence et Yette.

 

C’est une belle journée d’été. Yvonne veut que ses filles portent un chapeau quand le soleil tape.

 

Yette va avoir 20 ans en août. Yvonne a formé sa fille à l’art de la cuisine. Elle est demandée à droite et à gauche pour des « extras ». Elle comble les intervalles par des gardes d’enfants et des ménages. Elle s’offre deux jours de liberté par semaine :

 

            - le jeudi, elle le consacre entièrement au patronage paroissial : elle est la cuisinière.

         - le dimanche à l’église : messe de 7 heures, messe de 11 heures pour encadrer les enfants du patronage et la chorale, et l’après-midi les vêpres.

 

C’est son vœu, c’est son plaisir.

 

Aimée, elle, aura 17 ans en décembre. Elle est à l’École normale de Périgueux. Elle revient à la maison à Noël, à Pâques, et pour les grandes vacances. Pendant les mois d’été, elle aide à la maison,

et comme tout le monde participe au ménage, aux courses, à la lessive, à la cuisine, il lui reste du temps pour lire : Aimée adore lire. Yvette lui donne de l’argent de poche qu’elle investit dans ses lectures.

 

Clémence aura 15 ans en novembre. Après le certificat d’études primaires, Clémence a voulu apprendre la couture chez Mme Sauvage. Cet atelier de couture est réputé et elle y retrouve ses meilleures amies : Paulette Faugère et Didi Latreille. Depuis longtemps, elle a choisi son métier. Les exercices de couture à l’école et au patronage paroissial  lui avaient permis de découvrir ce don. Tout naturellement, à la maison, le raccommodage lui revient.

 

Jean, au milieu de toutes ses sœurs, n’a pas toujours la parole à la maison. Il passera le certificat d’études primaires, début juillet de cette année. Il n’est pas fier car ses résultats scolaires sont passables. Par contre, il est très actif en dehors de l’école. Avec ses copains, toujours les mêmes, ils ont vérifié leur adresse en s’exerçant à décaniller, à la fronde, les isolateurs en verre des lignes électriques et téléphoniques de l’avenue de la gare. Les gendarmes sont venus à la maison ; il faut payer les dégâts. On sait qu’ils étaient au moins 4 ou 5 gamins mais les gendarmes n’ont que 2 noms, celui de Jean Marchive et celui d’André Lamarche, le fils du boulanger. Jean et Dédé ne veulent pas dénoncer les copains… L’addition va être lourde pour les Marchive. Achille a pu négocier un échelonnement de la dette . Maintenant, quand le père part aux jardins, il faut que son fils, l’apprenti jardinier le suive : sa présence est indispensable, sinon gare.

En réalité, c’est Achille qui est doublement puni car, avec Jean, le jardinage, ce n’est plus de la détente. Il faut le surveiller et le reprendre sans arrêt, jusqu’à ce qu’il rende un travail impeccable.                                                                                                                                                

Hélène, l’avant-dernière, est une petite fille très sérieuse pour son âge. Elle a huit ans et travaille très bien à l’école. L’institutrice, Mademoiselle Roquejaufre, en principe avare de compliments, pense  qu’elle suivra le même chemin que son aînée, Aimée. Quand elle a eu 5 ans, Achille s’est rendu compte qu’elle lisait dans le journal. Il l’a fait lire à voix haute devant tout le monde : elle n’a pas bafouillé et comprenait très bien ce qu’elle lisait. Le père a dit à son fils d’en prendre de la graine. Dans tous les domaines,  ses attitudes et ses actions sont responsables et s'il n’y avait pas eu sa benjamine Raymonde pour l’entraîner, elle aurait oublié de jouer.

 

                                                                                                         

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                                                                                                                                                                                                 Clémence à 15 ans avec la jeune Hélène, 8 ans.   

 

Raymonde est la petite dernière. Elle aura 7 ans au mois de septembre. A la rentrée, elle ira à son tour à la grande école. C’est une enfant pleine de vie, câline, féline, charmeuse ; avec ses grands yeux de velours noir, elle se met tout le monde dans la poche ; pas pour obtenir quelque chose mais tout simplement pour plaire. Contrairement à Hélène, l’école, elle la subit et son aînée essaie de la stimuler de son mieux. Raymonde aime tout le monde et tout le monde l’aime : les institutrices, les dames du patronage, les voisins, la famille.      

 

Les parents, Yvonne et Achille, ont du travail. La mère est maintenant employée à plein temps à l’entrepôt des tabacs du village et  Achille, à l’usine de chaux et ciments d’Allas-les-Mines.                                                                                                                                                     

 

Toujours dans la rue de la mairie, un peu plus bas, il y a du nouveau chez Arthur et Emma Maraval : le fils, Jean, est de retour à Saint-Cyprien depuis un an. Mme Cabannes, le tailleur d’habits du village, s’est retirée des affaires. Après avoir honoré ses dernières commandes, elle a fait glisser sa clientèle vers Jean Maraval dont elle a vanté les références. Le nouveau tailleur de Saint-Cyprien a du travail et sa mère Emma lui sert de petite main.

Il a acheté une nouvelle machine à coudre « Singer » mieux adaptée au métier de tailleur. Avant de quitter Périgueux, il avait fait le plein en fers à repasser, en ciseaux, en règles et craies , etc et, surtout, il a gardé en mémoire les adresses parisiennes de fournisseurs de draps, de doublures, de boutons, de fils. La qualité des produits de la maison parisienne  « Latombe § Certain » a retenu toute son attention puisque fournisseur du maître-tailleur de Périgueux.  Jeantou restera fidèle à cette enseigne.

                                                                                                                                                        

Chez Maria Maraval et Alice Destal, ces dames sont restées perdues après le décès du patriarche qui rythmait la vie de famille. Maria, à 73 ans, assure sans problème les travaux de la maisonnée. Alice, à l’hôtel de la Poste, est passée en cuisine. En plus de ses revenus de cuisinière, elle touche toujours sa pension de veuve de guerre et la pension de pupille de la Nation pour sa fille Marcelle. Cette dernière va avoir 16 ans et, elle aussi, apprend le métier de couturière. Fonfon est toujours là et, chaque fin de mois, apporte sa contribution financière à la marche de la maison.

Il entretient le jardin du père après sa journée de travail, mais dès le dîner terminé, il file chez Arthur et Emma. Le poste de T.S.F. attire dans la cuisine des Maraval, Fonfon, le garde-champêtre et sa femme Célestine et l’été, les enfants Marchive, surtout la normalienne, Aimée.

 

 

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                                 Célestine Rougier, la voisine d’Emma et son petit-fils Claude

 

 Les émissions politiques, culturelles sont régulièrement suivies. Jeantou et Fonfon sont « fans »  d’Histoire. Aimée et Emma recherchent plutôt la littérature. Et, il ne faut pas oublier le sport !!! les matchs de rugby, le tour de France...

 

Henri, à Paris, donne toujours des nouvelles de son couple. Ils sont maintenant installés dans leur pavillon de Chatou, au 24 clos du verger. Une ombre est venue obscurcir le quotidien : Maria, après huit ans de mariage, n’est pas devenue mère. Ils ont connu une lune de miel que beaucoup auraient voulu avoir, mais sans promesse de fécondité. Maria, à 36 ans, s’avoue vaincue et devient taciturne.

Une fois par mois, elle s’anime pour recevoir la famille Smirnoff et son ami de toujours Dimitri Malinoff. C’est une journée consacrée à la Russie d’autrefois : seule entorse au programme, le foie gras et le champagne. Henri constate que, ce jour-là, son épouse est pleine de vie mais, la fête terminée, Maria retombe dans la dépression. Le terme n’est pas trop fort. Elle fume plus que de raison les petits cigares russes qu’elle trouve à la Colonie et quelques petits verres de vodka accompagnent ses soirées.

Au travail, un évènement important a eu lieu et a chamboulé le service de la comptabilité de la Compagnie d’Assurances : le chef comptable, Jean Dupont, vient de prendre sa retraite. Avant de partir, il n’ a pas hésité à mettre en avant le travail et les mérites de sa protégée, Maria Destal, auprès du Directeur de l’Exploitation. Mais, celui-ci a préféré le « m’as-tu vu » Eugène Laval, il présente mieux et une femme à la tête d’un service ne peut qu’entraîner du désordre. Maria a tout de suite été ignorée, certes on lui confiait du travail mais personne ne lui adressait la parole. Avant de partir, Jean Dupont lui avait remis une lettre de recommandation élogieuse, au cas où elle ne serait pas retenue pour prendre sa place.

                                                                                                                                                        

Elle a démissionné après avoir trouvé un emploi de comptable dans un cabinet d’expertises à Chatou, à un quart d’heure à pied de chez elle. Devant se rendre dans des entreprises, pour en vérifier la comptabilité, Maria a décidé d’apprendre à conduire et vient d’acheter une voiture, une Renault, la « Nevasport ».

Elle semble mieux, étant passionnée par cette voiture.

 

 

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Maria n’a pas consulté Henri. Il en est resté fâché mais s’est efforcé de ne pas le montrer. Même après leur mariage, « l’argent » est resté un sujet tabou. Henri avait compris que Maria était financièrement à l'aise mais il ne savait pas à quel point. Certes, c’est lui qui a acheté le terrain de Chatou avec sa part de la vente de la forge de Saint-Cyprien, placée chez Me Podevin en 1917. Par la suite, il a fallu qu’il se bagarre pour payer la moitié de la construction du pavillon : Maria voulait tout prendre à sa charge !!! Son honneur d’homme a rejeté la proposition de son épouse et un emprunt, intéressant, contracté auprès de son employeur, lui a permis d’assumer sa part.

Henri est un excellent commercial ; son salaire à lui tout seul permettrait de faire vivre confortablement une famille et, en plus, il touche du commissionnement, chaque fin de mois, en fonction du nombre et de la nature des contrats qu’il a ouverts.

 

Mais, que ce soit à Saint-Cyprien ou à Paris ou encore dans n’importe quel coin de France, l’année 1936 est une année déterminante dans la lutte contre le fascisme et contre le gouvernement d’Union nationale de Gaston Doumergue…

 

 

Françoise Maraval

 

                                                                                                          

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Bordure enlevée

 

 

 

 



24/12/2022
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