Rendez-vous en terre « Galla »
Aujourd'hui, "Terre de l'homme" retrouve la plume d'exception, étayée d'images plus que mi-séculaires, de Jacques Lannaud. Il sait si bien démontrer que le Pays de l'homme n'a point de frontières. Ses témoignages nous poussent à l'humilité. Ils nous rappellent que, peut-être, "on" n'a pas su parfaitement gérer dans l'harmonie, osons dire dans l'équité, la vitesse de l'avancée humaine.
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Scène de labour
C’était une Nature à l’état brut que je découvrais, fruit d’un volcanisme intense aux temps reculés où la terre émergeait des limbes et rien n’avait bougé depuis. Une terre que l’homme, au fil des siècles, n’avait pas réussi à façonner, à l’état de friche, la savane et la brousse se côtoyant et se mélangeant. Un lac à la circonférence parfaite avec des bords escarpés par ce qui restait du cratère lui-même. Un lac immobile, apparemment serein, attirant, où les oiseaux semblaient vivre sans frayeur leur joie de vivre et où, moi, quelque peu émerveillé par sa beauté, je redoutais, cependant, le calme trompeur et ses eaux sombres et profondes dans lesquelles, je m’imaginais, était tapi quelque monstre semblable à celui du Loch Ness en Ecosse dont j’avais lu que certains affirmaient l’avoir vu se dressant au-dessus des eaux.
La végétation autour était luxuriante, diverses essences d’arbres, certains en fleurs, venaient baigner leur pied au bord de l’eau. Mais, autour, à faible distance, c’est la savane qui dominait et, en période sèche, elle s’étendait toute jaune, la terre ridée par des gerçures plus ou moins profondes, quasi désertique.
Certes, les antilopes galopaient ici et là, des zèbres broutaient au loin une herbe rare mélangée à la paille, des compagnies de cailles, de perdrix ou de pintades sauvages s’envolaient à l’approche du moindre bruit insolite. Il est vrai que des félins pouvaient faire quelques incursions dans cette contrée giboyeuse et où les proies étaient d’approche facile. Mais, ils préféraient les fleuves aux berges étalées où venaient boire ces animaux sans défense, les lacs naturels à une altitude autour de 1500-1600m, la chaleur de la mi-journée propice à la sieste à l’ombre des fourrés et des épineux.
Là, survivait une population que l’exode provoqué par la guerre italienne avait clairsemée, dans un dénuement auquel personne et surtout pas les autorités du pays pouvaient apporter un soulagement. La précarité s’était installée et ces gens, à l’origine paysans et éleveurs, se retrouvaient très démunis avec des outils agricoles datant des siècles antérieurs, de rares semences, des méthodes de cultures anciennes. Sans aide matérielle, ils ne pourraient débroussailler, défricher, aplanir, créer des champs appropriés à la culture de céréales, apporter l’eau indispensable ….
Oued à sec
L'eau était un enjeu capital et même s’il y avait quelques points d’eau presque taris, en quelques endroits, ou le lac peu accessible, on allait la chercher avec des outres ou des récipients en terre cuite ou en métal que des femmes portaient accrochés dans le dos ou accompagnées de ces petits ânes efflanqués auxquels, de chaque côté , on fixait des récipients plus volumineux. Et cette corvée était susceptible de se répéter à l’approche du soir.
J’avais aperçu un paysan traçant dans son lopin de terre, des sillons peu profonds, tirant à la force de ses bras une araire renforcée par une vague ferraille fixée à son socle, un autre la tenant fermement pour creuser une rainure dans cette terre dure et sèche. Car, tous ne disposaient pas d’un animal, le zébu à bosse était l’équivalent de nos boeufs qu’on utilisait à ces fins ; mais, beaucoup, en cette période de saison sèche, impressionnaient par leur maigreur et semblaient au bout de leurs forces. Des outils d’un autre âge, voire moyenâgeux , des bêtes elles-aussi atteintes de maladies et des hommes souffrant de malnutrition, de malaria, de parasitoses oculaires ou digestives ou infections diverses et de handicaps physiques ; c’était là un tableau peu reluisant n’ayant rien à voir avec le récit merveilleux voire utopique que décrivait J.J. Rousseau parlant des bons « Sauvages », sans jamais avoir constaté par lui-même, l’état déplorable de ces populations exactement au même stade que 200 ans plus tôt. Des êtres, écrivait-il, qui « vivaient libres, sains, bons et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature et continuaient à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant… ».
Nous avions fini de manger et notre jeune coureur venu seul s’était alimenté frugalement. Il discutait , surtout, avec le médecin scolaire et l’infirmière de notre groupe par l’intermédiaire de nos deux guides, tout en buvant le délicieux hydromel que nous avions apporté. Ils étaient déjà venus ici, plusieurs mois auparavant, s’étaient rendus au village proche, avaient contacté le chef du village, avaient soigné des enfants et quelques adultes et distribué des vêtements. Maintenant, ils avaient projeté d’y retourner, dès le lendemain, accompagnés d’une ou deux personnes dont un de nos guides parlant le dialecte, en compagnie de ce jeune.
Mais, la nuit était tombée, le ciel était couvert d’étoiles et on entendait, plus ou moins proches, des cris d’animaux : chacals, hyènes, foisonnaient dans la contrée, civettes, oiseaux nocturnes. Assis pas très loin du feu, j’écoutais ces bruits et regardais la voûte céleste quand on s’approcha de moi et quelqu’un me dit : « Regarde vers cet endroit au sud, c’est la constellation de la Croix du Sud qui est en train d’apparaître au-dessus de l’horizon. »
La croix du Sud
Cette annonce me sidéra car, pour moi, elle faisait partie de mes fantasmes depuis mes lectures des grands aventuriers ou explorateurs qui, à bord de grandes caravelles, s’en allaient à la conquête des mers du Sud : Vasco de Gama, Magellan, Christophe Colomb et tant d’autres, en passant par le capitaine Nemo, le Voyage en ballon… le cap de Bonne Espérance, le cap Horn ..j’étais dans mes rêves. Puis, je revins aux réalités, admirant la constellation qui montait lentement dans le ciel, nimbée d’un voile opalescent, le nuage de Magellan. Je restai là, longtemps, la fixant et m’imaginant prendre les angles avec un sextant comme ces grands aventuriers pour se situer sur la grande mappemonde.
Je n’avais pas envie de dormir, il était presque minuit et pour mieux voir, je m’étais avancé à 15 ou 20m du feu, quand j’aperçus presque autour de moi, des yeux phosphorescents qui me fixaient. Alors, transi de peur, je pris une pierre que je lançai dans l’eau et dont le bruit fit instantanément disparaître cette apparition. C’est, alors, que je revins sur mes pas, le feu réalimenté brûlait intensément avec des craquements et, rassuré, je me dirigeai vers la tente.
Jacques Lannaud
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