Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 8 . Saga de Françoise Maraval

 

 

DE BELLES GENS

 

Épisode 8

 

 L’ÉCOLE

                 

                                        

 

 

Vous l’avez compris, Jeantou est un enfant heureux, choyé par tous les membres de la famille. Au dehors, la vie lui est étrangère. Il suit sa mère partout : faire les commissions à l’épicerie, chez le boucher, chez le boulanger, se promener à « la gravette » en traversant l’interminable rue Gambetta. Emma lui apprend les rudiments de la politesse :

            - bonjour madame, bonjour monsieur…

Jeantou est timide mais obéissant. Pour dire bonjour, il s’agrippe à la jupe de sa mère, son contact lui donne du courage.

 

En octobre 1911, Jeantou va prendre son premier grand virage, il va connaître la rentrée des classes. Pendant tout l’été, il a été préparé à cet événement, présenté comme une promotion. Mais le sérieux des conversations de son père et de sa mère l’inquiète et il se demande s'il va être à la hauteur. Déjà sa mère lui manque…

L’ école maternelle se situe au bout de la rue de la mairie, à côté de celle-ci. Jean, son pépé, lui a fait explorer les alentours ; avec lui, il est même allé clandestinement sous le préau. A tout moment, il avait l’impression d’être fautif et responsable d’une telle intrusion ; il se demande comment est la classe. Son père lui parle d’un grand tableau noir, bien plus grand que son ardoise.

            - Papa, il est grand, comment, le tableau noir ?

            - Comme un mur, d’ailleurs, il est fixé au mur.

 

 Jeantou ne pense qu’à cela. Il n’arrête pas de se poser des questions sur l’objet de ses inquiétudes.  Tout le monde a compris à quel point l’enfant est préoccupé et on finit par lui dire que le tableau est celui de la maîtresse. Lui et les copains devront être très attentifs,

 il faut bien écouter ce que dit l’institutrice.

            - Maman ! c’est qui les copains ?

            - Des petits garçons et des petites filles qui iront à l’école avec toi et qui seront dans ta classe, pour apprendre à lire et à écrire.

            - Maman, lire ce qui est écrit sur le tableau noir ?

            - Oui, Jeantou, sur le tableau noir et sur ton livre de lecture.

 Jeantou ne dit rien mais Emma comprend qu’il se fait une montagne de tout et pour le rassurer :

            - mon fils, ne t’inquiète pas, je t’aiderai quand tu reviendras de l’école.

 

                                                                                                                                     

Quoi ? il faudra aussi travailler à la maison ? C’est vrai : il a vu tonton Fonfon se mettre dans un coin de la cuisine de mémé Maria, pour apprendre une leçon. Il l’a entendu réciter à haute voix, des  histoires de la Guerre de Cent ans. Maintenant, son tour est venu mais maman va l’aider car sa mère sait déjà tout et elle sait même parler anglais. Pourquoi ce n’est pas elle l’institutrice ?

 

En attendant la rentrée, Emma a confectionné deux tabliers, des tabliers en satin noir, rehaussés d’un galon rouge pour l’un et d’un galon jaune pour l’autre. Elle a commandé chez le sabotier, une paire de sabots et des feutres bien chauds. Alice a astiqué le petit cartable de Fonfon qui, maintenant, va servir à Jeantou.

 

Jean Maraval senior « roumégue » ; il entretient, avec sa tête , un monologue privé. On va emmener le petit Jeantou chez le coiffeur. Il vaut mieux ne pas faire de commentaires en public.

- Eh bien ! ce n’est pas trop tôt ! Sous prétexte qu’il a de beaux cheveux, ma belle-fille dénature mon petit-fils : elle lui a laissé pousser  « los pials » comme s'il était une fille. Grand comme il est, c’est d’un ridicule ! Et mon fils, ce grand nigaud, ne dit rien, il la bade toujours comme au premier jour. Il paraît qu’elle a pris rendez-vous ! Elle se croit encore à Bordeaux ? Maria m’a dit que ces jours-ci, tout le monde veut aller chez le coiffeur en même temps. Mes femmes la trouvent dégourdie, je n’en crois rien, elle veut se faire remarquer. Je vais aller voir Magnac, le coiffeur, pour qu’il n’ait pas peur de couper. Ce petit va se sentir mieux, finie la mascarade !!!

 

Emma a, en effet, pris rendez-vous chez le coiffeur de la place de la Liberté, M. Salon. Elle y emmènera son fils, la veille de la rentrée, à 2 heures de l’après-midi.

 

 

 

n° 1

 

 

 

Le jour venu, Emma emmène avec elle, une petite boîte allongée remplie de papier de soie et de

bouts de ruban bleu. Jeantou est maintenant installé sur le fauteuil du coiffeur, il l’observe  dans la glace : il coupe ses anglaises, une à une, et les donne délicatement à sa mère. Puis il commence la véritable coupe. L’enfant se trouve changé, il ne se reconnaît pas, il ressemble à papa.

 

                                                                                                                                                   

 

 

n° 2

 

 

 

                        le coiffeur-barbier de la place de la liberté, à côté de l’hôtel des 4 colonnes

 

Nous y sommes ! Jeantou a été réveillé de bonne heure, il a eu du mal à avaler son petit-déjeuner. Il a une boule sur l’estomac mais il ne se plaint pas. En arrivant rue de la mairie, il aperçoit pépé Jeantou et mémé Maria,  sur le pas de la porte de leur maison ; ils attendent le passage du petit-fils. Le grand- père est heureux de voir  Jeantou junior  métamorphosé : ah ! qu’il est beau ! c’est bien un Maraval.

 

L’institutrice accueille les nouveaux élèves et leur famille, devant le portail de l’école, pendant que son assistante Léonie surveille la cour et le préau. Jeantou est tout de suite dévisagé par les anciens. Inconsciemment, les petits nouveaux se regroupent, muets, réservés. Un seul se distingue, son nom est lancé par un aîné :

            - Brousse ! Tu voudras jouer aux billes, à la récré ?

L’intéressé acquiesce de la tête. Il est baraqué comme un lutteur. Jeantou ne l’avait jamais vu et le timide voudrait en faire son copain, le copain dont parle papa et maman. Que dirait tonton Marcel si son neveu lui présentait un copain comme Brousse.

 

La maîtresse tape dans ses mains. Les anciens, habitués, se rangent en deux colonnes à la queue-leu-leu. Les petits ont compris et en font autant. Dans la classe, Mme Mouillé, la maîtresse, et son assistante Léonie installent tout le monde. Il y a la petite section, la moyenne section et la grande section. La petite section est celle des trois ans. En raison de sa taille, Jeantou est placé au dernier rang, juste à côté de Brousse. Les nouveaux élèves se dévisagent, ils semblent être sur la défensive. Des points d’interrogation jaillissent des yeux de Jeantou et de ceux de Brousse. La maîtresse fait l’appel des noms et prénoms : il faut lever le bras droit et dire « présent ». A l’énoncé de son nom, le petit Maraval est ému. Il a la confirmation que son voisin s’appelle bien : René Brousse.

Alors, il aperçoit le tableau noir : il y en a même deux, un derrière le bureau de la maîtresse, l’autre devant la section des « grands ».

                                                                                                                                                         46

 

 

 

 

n° 3

 

 

                                                      « Plus fait douceur que violence »

 

 

 

n°  4

 

 

A chaque section, la maîtresse distribue la liste des fournitures à acheter : un cahier à deux lignes, un livre de lecture, un porte-plume, des plumes sergent-major, des buvards. A midi, ils doivent donner la liste aux parents. Demain, les choses sérieuses vont commencer ; aujourd’hui, les enfants vont finir de faire connaissance dans la cour de récréation.

 Et pour cela, Mme Mouillé et Léonie organisent une ronde. Les enfants se tiennent par la main : un garçon, une fille, un garçon, une fille...et on désigne un enfant pour aller au centre de la ronde. En face de lui, il reconnaît Nini, la petite fille du garde-champêtre ; elle habite au fond de la rue de la mairie, à côté de l’école. Quand Jeantou va chez pépé Jean, il l’aperçoit jouant dans la rue et il ne sait pas pourquoi, son cœur se met à battre très fort ! La maîtresse et Léonie rentrent dans la ronde et, tout en tournant, se mettent à chanter une comptine que les anciens connaissent et entonnent joyeusement :

 

« Nous n’irons plus au bois »

 

- nous n’irons plus au bois

-les lauriers sont coupés.

-la belle que voilà

- ira les ramasser.

Refrain :

- entrez dans la danse.

- voyez comme on danse.                                                                                                                 

- sautez, dansez,

- embrassez qui vous voudrez !                                                                                                       

 

- mais les lauriers du bois,

- les laisserons-nous faner ?

- non, chacun à son tour,

- ira les ramasser !

 

- - - - -

 

A la fin du refrain, l’enfant qui est au centre,  choisit un autre enfant dans la ronde, l’embrasse et ils font une mini ronde à deux, tournant en sens inverse de la grande, le temps d’un couplet et d’un refrain. Le premier enfant rejoint la grande ronde  et on recommence…

Un garçon doit choisir une fille qui, à son tour, doit choisir un garçon. Jeantou voudrait être élu pour pouvoir embrasser Nini. Une fille a «  poutouné » le Lulu qui, à son tour, embrasse la belle Nini. Jeantou est furieux, il pense que c’est foutu pour lui. La jolie princesse prend sa place au milieu de la ronde et, au moment de choisir l’élu de son cœur, le désespéré voit la belle venir à lui et elle l’embrasse tendrement sur les deux joues. Des éclairs passent devant les yeux de Jeantou. Le voilà au centre du cercle et, dès que la ronde s’arrête, il dépose un baiser sur la joue de la première venue. Il serait bien allé prendre les mains de Nini, mais le jeu l’interdit. Il faut que tout le monde entre au centre de la ronde et une seule fois.

 

La maîtresse tape des mains, il est déjà midi. Les parents sont devant le portail. Jeantou fonce vers sa mère, alors, il se rend compte qu’elle discute avec Célestine, la maman de Nini. Les deux enfants se regardent. Le petit Maraval se demande quel est ce sentiment étrange qui le rend triste et gai à la fois. Il faut déjeuner et revenir, oui, revenir. Pépé et mémé attendent devant chez eux, leur petit-fils est rayonnant. Le patriarche est soulagé, le petit a surmonté son trac.

Avant de manger, Jeantou se lave les mains et  maman veut lui rafraîchir le visage. Il refuse et finit par dire que Nini l’a embrassé sur les deux joues, en faisant la ronde. Arthur rit aux éclats !!! Emma trouve la parade et dit que les poutous vont partir dans son cœur et là, ils ne pourront plus s’échapper. Jeantou raconte tout, il parle beaucoup de René Brousse, celui qui partage avec lui, le dernier rang de la petite section. Arthur rit encore, Emma est heureuse. Après avoir donné la liste des fournitures à sa mère, l’enfant ne pense qu’à revenir à l’école.

 

Pépé le reconduit jusqu’au portail. Nini est déjà là, elle joue à « chat perché » avec des grandes. René Brousse est au centre d’un attroupement, il raconte une partie de ses exploits guerriers ; Jeantou écoute, il sait qu’il ment. Mais quel panache ! il le trouve formidable.

 

L’institutrice tape des mains, les rangs par deux se forment, on rentre pour faire l’appel. Les enfants de la petite section peuvent faire la sieste. Jeantou ne veut pas, il veut s’amuser puisque l’après-midi est réservée aux jeux. Léonie distribue balles et ballons aux filles, ainsi que des cordes à sauter, pendant que les garçons impatients attendent qu’on leur prête des osselets pour les uns, des billes pour les autres. Jeantou a demandé des billes. Il lui arrive de jouer très souvent avec Pépé et Fonfon.

Pépé a trouvé son petit-fils très adroit, il est le plus adroit du clan Maraval car il a un étonnant pouvoir de concentration pour un petit homme de trois ans.

Jeantou se sent fort, il dit à Brousse :

            - tu peux faire équipe avec moi, tu ne le regretteras pas !

René acquiesce. Un groupe de moyens, l’œil malicieux, veut jouer contre eux, pensant leur « mettre une déculottée ».

 

 

                                                                                                                                                        

La partie s’engage rapidement. Dans un premier temps, les deux compères sont déstabilisés, les billes de terre cuite ne pèsent pas lourd. Rien à voir avec les billes de verre ou de plomb. Il faut réajuster le tir et deux ou trois essais sont nécessaires pour trouver la bonne concentration, la bonne détente du poignet qui va permettre de toucher au but. Finalement, ils arrachent un match nul : vu les conditions, ce n’est pas mal. La prochaine fois, il faudra que René se concentre au maximum. Il est trop brusque et en même temps émotif ! On ne le dirait pas...Mais, entre copains, il faut se soutenir, le petit Maraval l’a bien compris.

 

A l’école, il faut écouter la maîtresse, rester calme. Brousse gesticule beaucoup, on dirait que ses jambes supportent mal de rester immobiles. La maîtresse le rappelle souvent à l’ordre, aussi décide-t-elle de lui trouver un pupitre mieux adapté à sa morphologie.

 

La maîtresse a beaucoup de travail avec les trois sections de maternelle, heureusement Léonie est là.  La petite section apprend, chaque jour, une lettre de l’alphabet : vingt-six, c’est beaucoup ! Jeantou se demande s'il va retenir tout cela. A la maison, maman fait réciter les voyelles : a,e,i,o,u,y. On écrit, au crayon à papier, les consonnes et les voyelles sur un cahier à deux lignes ; les enfants s’appliquent avec plus ou moins de réussite. La maîtresse écrit très bien sur le grand tableau noir. Jeantou trouve que son écriture ressemble à la broderie de sa maman. Avec la craie blanche, elle fait les pleins et les déliés, ses lignes sont bien droites : c’est beau.

 

La moyenne section apprivoise le porte-plume et l’encre violette. Mme Moulié se fâche souvent parce que tel ou tel a fait un pâté, une tache d’encre violette tombée malencontreusement de la plume « sergent-major » sur le cahier. Il ne faut pas trop enfoncer le porte-plume dans l’encrier car la plume ressortirait gorgée d’encre et alors là, les pâtés sont inévitables. Chacun son tour, les enfants lisent ce qui est écrit au tableau. La maîtresse a une très longue baguette qu’elle place sous le mot à lire. Quand un élève se trompe, elle tape du pied, et demande à l’étourdi de recommencer. Mais ce que Jeantou préfère, ce sont les récitations. Ils ont commencé à apprendre « Le corbeau et le renard » de Monsieur Jean de la Fontaine ; le soir, après le dîner, maman le fait réciter. Il y met tout son cœur et les yeux d’Arthur brillent de satisfaction. Maman le complimente. Quand il la connaîtra entièrement, il la récitera à tonton Marcel, lui qui aime bien les fromages.

 

Les récréations sont toujours les bienvenues, Jeantou en profite pour suivre Nini du regard. Aux billes, René et lui ont fait de gros progrès, maintenant ils maîtrisent la trajectoire de la bille. Jeantou est le plus précis. Un jour, à la récré, Brousse a sorti de sa poche, une fronde. Le petit Maraval connaît bien cette catapulte, Fonfon a la même machine de guerre : c’est un cadeau de pépé. L’attroupement formé autour du gaillard attire l’attention de Léonie. La fronde est confisquée et devient l’objet d’une leçon de morale : les frondes sont interdites, cela est trop dangereux, un enfant peut être blessé.

 

Jeantou a commencé sa vie avec les douceurs de maman, le regard protecteur de papa, les gâteries des grands-parents, l’accompagnement de Fonfon et, maintenant, l’école et les copains. L' école, c’est sérieux. Il faut obéir, apprendre, s’appliquer, faire honneur à la famille en devenant savant. L’école, c’est magique : on y rencontre des copains épatants avec qui on veut tout partager, des copains décevants, mais il faut faire avec… Jeantou est au milieu, il va faire de son mieux. Une petite fée va éclairer son âme et faire battre son cœur, vous avez reconnu : la belle Nini.

 

Sans titre 6

 

 

Françoise-Marie

 

 

                                        

 

 

 

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Demain Jacques Lannaud va nous emmener à la découverte de Julien Viaud. Nous connaissons tous ce personnage, mais sous un autre nom.

 

 

 

 

 

 



05/11/2021
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