Terre de l'homme

Je pense avoir rencontré peu de personnages d'exception dans ma quelconque vie active.

Avant que mon plumier ne file à sa destination adéquate, je voudrais  dire qu'il m'est arrivé, fortuitement, de voir entrer dans mon bureau, un de ceux-ci. J'allais quitter les lieux et j'étais sur le point de fermer ma porte. Le visiteur s'était tout simplement trompé de couloir et il cherchait à rencontrer mon supérieur hiérarchique. Ce dernier venait juste de changer de poste pour rejoindre la prestigieuse "Cour des comptes". Ignorant tout de sa recherche, j'invitai néanmoins ce personnage, d'une délicatesse exquise, à entrer,  pour lui demander pour quelle raison il était en recherche. Je le priai, alors, de s'asseoir et, détail un brin drôle, il se trompa de siège. Il ne prit pas le fauteuil d'hôte de passage mais s'installa à ma place.

Le fil conducteur ainsi introduit, me voici face à un homme extraordinaire qui fut  un haut fonctionnaire, un chantre de la Résistance, nommé en janvier 1945, préfet du Loir-et-Cher, puis préfet du Puy-de-Dôme en 1946. Lors des grèves de 1947, à la manufacture Michelin, il refuse d'appliquer les ordres très sévères devant mettre fin aux manifestations, puis lors des grèves de mineurs de juin 1948, il accepte de recevoir les manifestants à la préfecture de Clermont-Ferrand. Pour cela, le ministre de l’intérieur, Jules Moch envisage de le révoquer mais, finalement, le mute préfet des Basses-Pyrénées (aujourd’hui Pyrénées-Atlantiques).

Pour ce passé plus qu'élogieux, je me trouvai, bien humble petit garçon, émerveillé en face d'un homme extraordinaire.

Il s'attarda et je crois que notre échange dura plus d'une heure. Pas un seul mot sur sa brillante carrière, pas un seul propos qui aurait pu s'émouvoir de la marche du temps mais seulement un retour empreint de nostalgie sur ses origines vendéennes, dans le Marais poitevin, où la vie simple et laborieuse des descendants de chouans, plaide pour la tranquillité et l'humilité.

Quand il prit congé, les employées du ménage piétinaient dans le corridor pour amorcer leur travail.

Pierre Fabre