Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 20. Saga de Françoise Maraval

 

DE BELLES GENS

 

Épisode 21

 

Marcel

 

Résumé de l'épisode précédent

 

Les deux amis, Clément Chartroule et Jean Maraval trouvent le temps, un après-midi, de parler de la guerre et de ses répercussions dans le village. La chute de l’empire des Romanov attise leur curiosité et leurs inquiétudes.

 

 

En ce début mai 1917, Emma vient de recevoir une lettre de l’hôpital de Limoges : son frère Marcel y a été transporté par convoi  sanitaire venant de Provins. Il a demandé d’en informer sa famille  car il ne peut pas écrire.

 

 

Gare de Limoges-Bénédictins (Limoges, 1929) | Structurae

 

La gare de Limoges-Bénédictins. Image © Structurae, opérateur Jacques Mossot

Chef-d’œuvre éclectique d'architecture régionaliste et symbole de la ville, inauguré en 1929, l'esthétique de celui-ci emprunte autant à un Art nouveau tardif, qu'à l'Art déco et au néo-classicisme. À à ce titre, il a fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques depuis le 15 janvier 1975.

 

Limoges - LIMOGES. gare benedictins - Carte postale ancienne et vue d'Hier  et Aujourd'hui - Geneanet

 

                                                         

La jeune femme descend du train en gare de Limoges. Elle vient d’avoir trente ans et la couleur du deuil, qu’elle arbore depuis le décès de son beau-frère, André, en avril 1915, lui confère une grande dignité. Ses cheveux auburn ont pris une teinte un peu plus foncée et son allure générale affirme qu’elle est devenue femme. Elle soigne son apparence et la toilette qu’elle porte, témoigne de son habileté de couturière. En deux mots, elle est élégante.                                                                                                                                                    

                                                                                                                                                        

Arrivée à l’hôpital, elle s’informe à l’accueil. Pour parvenir au bureau, il a fallu qu’elle attende son tour car le hall est encombré de gens qui, comme elle, viennent voir un proche. Il faut laisser passer les brancardiers qui se croisent en se saluant. Marcel est au deuxième étage dans la grande salle commune. Là-haut, une femme de salle lui dit qu’il est au dernier lit sur la rangée de droite.

 

Tout de suite, il l’a reconnue et la regarde avancer. Emma n’en croit pas ses yeux, qu’a-t-on fait de son Marcel ? Il faut absolument qu’elle fasse bonne figure, il faut qu’elle lui sourit. Ce n’est plus le frère qu’elle avait l’habitude de voir, si beau, si droit. Il a perdu presque tous ses cheveux, il n’a plus de sourcils, lui qui les avait si épais, sa mouche retombe côté droit. Ses yeux félins sont devenus vitreux, exorbités et tristes. Il pleure doucement ; en la regardant, il semble dire «  je suis fini... ils m’ont eu ».

 

Pour donner le change, il demande des nouvelles de tout le monde. Il insiste : que devient le petit Jeantou ? Travaille-t-il bien à l’école ?                                                                                          

 Si Henri est d’accord, il faut vendre la forge. Marcel sait qu’il va avoir besoin de soins pour le restant de sa vie. Il ne veut pas être à la charge des siens. Il veut revenir à Saint-Cyprien si sa santé le permet.

Emma le rassure, il aura toujours sa place chez elle. Sa santé va s’améliorer ; le chemin sera sûrement long, mais oui, sa santé va s’améliorer ! Elle n’en croit pas un mot tant le spectacle est désolant.

Une infirmière leur propose de les installer sur la terrasse. Marcel a peur d’avoir froid, il grelotte. On l’enveloppe dans une couverture. Il veut parler d’Alice : il essaie mais des flots de larmes l’empêchent de s’exprimer. Cette chère Alice, il voudrait la serrer contre son cœur.

Sans en parler à Marcel, Emma se dit qu’elle ne peut pas quitter l’hôpital sans aller voir le médecin qui le suit. Elle a compris beaucoup de choses mais elle veut entendre le spécialiste. Elle prétexte quelques achats pour habiller le jeune Jeantou et prend congé. Elle va revenir bientôt. Marcel la raccompagne jusqu’à la porte de la salle commune. Il marche lentement, le dos courbé, son bras droit se balance dans le vide : il est mort. Il traîne aussi la jambe droite. Elle va revenir, elle va revenir…la séparation est douloureuse.

 

Dans le couloir, elle a identifié la porte des médecins mais il faut, avant, qu’elle prenne l’air et qu’elle reprenne ses esprits. Elle a besoin de vomir, elle ne trouve pas de toilettes et c’est dans la cour, derrière un arbre, qu’elle décharge toute sa bile.

De retour au deuxième étage, elle se présente devant la porte des médecins. La porte est ouverte, elle frappe. Le médecin n’a pas le temps de la recevoir. Elle insiste et, finalement, il cède. Marcel est en train de se paralyser le côté droit. Pourra-t-il rentrer dans sa famille ? Peut-être ! mais par petites approches. On peut envisager un essai de deux ou trois jours, dans un mois. Merci docteur ! Mille mercis. Elle sait tout ce qu’elle voulait savoir.

 

Dans le train du retour, elle pense à comment annoncer la mauvaise nouvelle à Alice et à Jean, son fils. Sa belle-sœur est sur le quai de la gare de Saint-Cyprien, comme prévu. Sur le long chemin qui conduit au village, Emma raconte tout de sa visite. Alice accepte la vérité avec courage. Quand Marcel reviendra au pays, c’est elle, Alice, qui s’occupera de lui. Oui, elle le soignera avec, bien sûr, l’aide du docteur Costes.

Avec le petit Jeantou, elle y met plus de rondeur, elle y va par étapes. Tonton Marcel est bien malade.

 

 

Sans en parler à Henri, Emma met tout de suite la forge en vente : elle sait qu’il ne s’y opposera pas, lui aussi aura besoin d’argent pour commencer une nouvelle vie quand la guerre sera terminée. Car, enfin, cette guerre va bien s’arrêter un jour ? Le prix est fixé avec le concours du notaire   qui

assurera la transaction et avec les remarques judicieuses de son grand-père, François Borde, et de son oncle Victor.

A  la surprise générale, un homme des Eyzies, Louis Rigal, se porte acquéreur. Emma regrette de ne pas avoir forcé le prix. Trop tard, la vente va se faire… Il a été convenu que le futur propriétaire reprendra les employés encore présents et ceux qui auront la chance de revenir du front en bonne santé. Les parts de Marcel et d’Henri seront réservées sur un compte de séquestre à l’étude du  village.

Maître Podevin a besoin de rencontrer Marcel au plus vite. Il faut que le blessé « signe », en sa présence, une décharge et une procuration en faveur de sa sœur. Pour cela, il décide de monter à Limoges en voiture et d’ emmener Emma avec lui. Pour Henri, il a préparé les mêmes papiers à envoyer en Allemagne, dès que l’on aura son adresse.

Depuis le départ de Marcel sur le front, les revenus de la forge mis de côté, seront, eux aussi, partagés, mais seulement entre Emma et Marcel. La  vente prochaine de la forge apaise Marcel ; il va pouvoir compter sur un bon capital pour venir au secours de son handicap.

                                                                                                                                                  

 Une autorisation de sortie de l’hôpital peut être envisagée au mois de juin.

 

3

 

 

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                                   Les blessés et le personnel de l’hôpital militaire de Limoges

                                                                                                                                                         

Arthur vient d’être transféré au 50ème RI. Pourquoi ? Il ne sait pas...On manque sans doute d’ hommes sur le front. Il y rencontre des Périgourdins, des Corréziens, des Charentais. Le 108ème RI de Bergerac n’est pas loin. Depuis le tout début de la guerre, il n’a pas eu le moindre entraînement. Avant août 14, il était réformé en raison de son asthme, il n’a pas fait de service militaire. Le 50ème RI stationne dans la Marne dans le secteur de Maisons-de-Champagne.

 

Finalement, il a droit à une série de manœuvres. Les tranchées sont boueuses et donc humides.

 

 

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La neige est tombée tout cet hiver et, en ces jours de mai 17, le vent est tellement fort qu’aucun ballon ne peut tenir l’air et qu’aucun avion ne peut voler. La bataille des monts de Champagne  s’est déroulée du 17 avril au 20 mai : c’est la 3ème bataille de Champagne. Les pertes atteignent sensiblement la moitié de l’effectif. Le 30 avril, le 50ème RI a été relevé tout entier et le 8 mai, il est installé dans la région de Tahure.

Les attaques de l’artillerie allemande se multiplient et nous n’avons rien pour riposter. Le 50ème RI sera relevé le 18 juin, pour une période de 3 semaines de repos à Chaumont-sur-Aire, repos pendant lequel le drapeau du régiment reçoit la croix de guerre des mains du général Gouraud, commandant la Vème armée. Pendant toute la période, Arthur se débat avec une crise d’asthme qui ne le quitte plus. Heureusement, il n’a aucune blessure.

 

Emma est moralement détruite. Elle ne veut pas le montrer mais ses soucis se portent sur le foie ; elle a une crise de foie permanente, pourtant elle s’intéresse toujours aux siens. A la foire, elle a trouvé des chemises en flanelle confortables et bien chaudes pour habiller Marcel, Henri et Arthur,  quand ils reviendront.

La première sortie de Marcel est programmée  et Emma va le chercher en train. Marraine Angélique les attend en gare de Saint-Cyprien, avec sa calèche, en compagnie du petit Jeantou que l’on a préparé aux retrouvailles avec son oncle. Marcel est heureux d’apercevoir son clocher. Il passera cette fin de première journée chez sa sœur, route du Bugue. Il ne faut pas qu’il se fatigue, il ne faut pas trop de visites. Le neveu a révisé ses récitations pour épater l’oncle qui rit de bon cœur.

                                                                                                                                                        

                                                                                                                                        

Emma a laissé sa chambre au soldat blessé, il va y passer une nuit confortable. Il faut qu’il se repose : cette première sortie a dû être éprouvante.

 

Tout allait très bien, Marcel était couché depuis plus d’une heure, quand Emma a entendu, venant de sa chambre, d’abord des petites plaintes puis de vraies lamentations. Marcel a l’air d’être en face de visions apocalyptiques et, maintenant, il pousse des cris d’une telle intensité que le voisinage est alerté. Marcel se bat contre des fantômes, il entend les bruits de la guerre : les obus sifflent dans sa tête.

Le voisin d’en face, Louis Janot, frappe à la porte, Jojo Castagner le rejoint, les Tabanou, les Faure, les Fournier sont aussi dehors. Pendant que Louis emmène le petit Jeantou chez ses grands-parents, rue de la mairie, Jojo va réveiller le docteur Costes. Marcel est en plein délire, poursuivi par des visions de guerre. Le médecin hésite : il faut le calmer mais il va devoir se heurter aux réticences du pharmacien qui ne veut pas délivrer la piqûre nécessaire sans une ordonnance de l’hôpital de Limoges. Finalement, il cède.

De retour, le docteur soulage le malheureux soldat qui entre très vite dans un profond sommeil. Alice est maintenant avec Emma et avec le médecin. Celui-ci décide qu’à la prochaine sortie de Marcel, c’est Alice qui administrera la piqûre, si besoin est. Il faut se recoucher et récupérer. Louis Janot s’offre pour ramener Marcel en voiture à l’hôpital de Limoges, le lendemain matin.

 

A l’heure du départ, Alice est là, elle parle dehors avec Janot, son patron, qui vient de sortir sa voiture. Marcel ne se souvient pas de ce qui s’est passé la nuit dernière. Il est désolé pour les autres et pour lui. Emma lui explique qu’il reviendra mais avec une ordonnance. Cette première sortie était nécessaire pour que les prochaines soient réussies. A travers les rideaux de la fenêtre de la cuisine, il aperçoit Alice, grande et forte, alors que lui est devenu petit et misérable.

Dès que Marcel a ouvert la porte d’entrée, son regard  cherche celui d’Alice et ce qu’il espère, se produit. Alice vole vers lui et l’enveloppe de ses grands bras. Ils restent soudés l’un à l’autre, un long moment. Elle lui glisse dans le creux de l’oreille :

« Ne t’inquiète pas ! Je serai là ».

Alors Marcel trouve la force de se redresser et de sa main gauche, il ramène le visage d’Alice vers le sien et le couvre de baisers. Les témoins sont nombreux, le spectacle les rend muets mais l’expression de leur visage traduit une intense émotion. Notre ancien soldat s’installe dans la voiture,

le sourire aux lèvres. Il va revenir et Alice, grâce à son amour, va lui communiquer toute sa force.

 

 

Françoise Maraval

 

 

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26/04/2022
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