Terre de l'homme

                                              La Roque Saint-Christophe

Vézère et Dordogne sont indissociables et ce n'est pas le bouleversement de nos anciens cantons par l'administration, qui changera la géographie de notre coeur.

Il sera sans effet sur notre sentiment d'appartenance à ce territoire où l'eau règne en maître.

Pierre Fabre l'a fort bien compris qui, après avoir fait la part belle à la Dordogne et son affluent de coeur la Nauze, consacre tout un article à une vallée qu'il semble connaître comme sa poche.

Jacques Lannaud, à la force de ses mollets, les a unies dans le même effort.

Je vous propose aujourd'hui, une autre approche : oubliez les routes et laissez-vous aller au fil de l'eau.

Je suis né près de l'endroit où la Beune se jette dans la Vézère.

Enfants,  quand nous ne grimpions pas dans les trous dits "du guetteur" à mi-falaise, c'est là que nous allions, mon frère et moi, pêcher.

                                                                                           L'abri du poisson

L'heure venue, notre mère nous appelait pour le repas : la voix  porte loin dans ce village entouré de rochers.

En clair, nous passions tout notre temps libre au bord de l'eau ou sur l'eau.

Le bateau mis sur un simple châssis muni de deux roues de vélo, nous nous rendions par la route à Tursac qui n'est pas la porte à côté. Une fois rendus sur place, les roues démontées, mises sur le bateau, les sauterelles ramassées, nous commencions la descente vers les Eyzies en pêchant au "fouet", pratique oubliée aujourd'hui.

Il fallait de l'adresse pour mener le bateau en oblique par rapport à la rive et lancer l'appât en évitant les branches. Le silence était de rigueur : on ne parlait pas, on évitait les chocs de la rame contre le bateau. Et là, sur cette rivière où les armadas de canoës ne sévissaient pas encore, on pouvait admirer le paysage où seuls apparaissaient le château de Marzac et les ruines du village troglodytique de la Madeleine. C'est  à peine si, entre les peupliers, on entrevoyait la grotte de Liveyre qui servit de refuge au maquis "Vézère".

                                                                                  le chateau de Marzac

Avec le temps, je mesure les qualités de ces moments passés dans une nature intacte et discrète, "au bout du monde" nom d'un village invisible de la rivière.

François Augiéras, sur un radeau ou un banc de sable, de nuit, se créait à l'instar de Rimbaud et de Gérard de Nerval, une mythologie qui le tenait à l'écart du réel.

A notre barque, il eut préféré le bateau ivre de Rimbaud :

Comme je descendais les fleuves impassibles,

Je ne me sentis plus guidé par les haleurs

les fleuves m'ont laissé descendre où je voulais

André Breton, découvrant des agates dans le Lot qu'il appelait "fruits de l'imagination de la nature" eut un coup de foudre pour cette rivière qui coule en contrebas de Saint Cirq Lapopie : "J'ai cessé de me désirer ailleurs".

                                                                                      La Madeleine

A chacun sa rivière !

La mienne ressemble à celles que Bruno piège avec son appareil, où l'élan frêle d'un peuplier d'Italie se reflète dans leurs eaux calmes, paisibles, à la fois familières et mystérieuses, celles où l'on pêche, où l'on se baigne et dont on prend les galets plats pour faire des ronds dans l'eau.

Le temps passant, il m'arrive parfois d'entendre, d'une façon aussi fugace qu'inattendue, cette voix maternelle aujourd'hui disparue dont la falaise nous renvoyait l'écho, qui s'assurait de notre présence et donnait le signal du retour.

Mais la barque s'éloigne

Qui donc a fait pleurer le saules riverains ?

Pierre Merlhiot