Terre de l'homme

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Naissance et création du dictionnaire Le Robert, par Jean-Matthieu Clôt.,

 

Jean-Matthieu Clôt

Le 5 juillet 1952, mon père, Henri Clot, ayant quitté son poste de pasteur de la paroisse de Saint-Just (Forez) est accueilli à Alger par Paul Robert. Il est embauché comme deuxième rédacteur du futur nouveau dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, le premier rédacteur étant Alain Rey,

 

 

Paul Robert avait quitté Alger, à 34 ans, le 15/10/1944, pour rejoindre ses camarades des Services Spéciaux à Paris, d’où il était parti le 03/09/1939, alors même qu’il préparait une thèse de doctorat en droit et l’agrégation d’économie politique.

 

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                                               Paul Robert avec Jules Romains et Alain Rey

 

                                            

Il a mis douze jours (propices à la réflexion) par bateau pour débarquer à Morlaix en Normandie via Gibraltar, Southampton, Cherbourg, et Roscoff, Les sous-marins allemands maraudaient encore. Il élabore un dictionnaire du chiffre à usage militaire. Le 15/01/1945, libérable, il se laisse renvoyer dans ses foyers. Il erre quelque temps entre Paris où son père lui avait fait acheter une librairie, et le Périgord où il avait acquis un petit domaine à Lalinde en 1942.

En même temps qu’il publie sa thèse, il améliore son anglais, découvert avec des officiers américains.

Au mois d’octobre, lui vient l’idée que la clef des mots se trouve dans leurs définitions, exemple « troglodyte » évoque immédiatement l’idée de « caverne ».

L’étude de l’anglais reste au centre de ses préoccupations, mais il se rend compte qu’il doit aborder l’analyse du vocabulaire français avant celle du vocabulaire anglais, c’est ainsi qu’il envisage la création d’un petit lexique pour son usage personnel. En mai 1947, il s’installe en Ariège, dépouillant les grands volumes du nouveau Larousse illustré, et du Larousse du XX° siècle, avec toujours son bon vieux Littré.

Dès le printemps 1946, ayant décortiqué les quelques milliers d’articles du A et du B soit le dixième de la nomenclature des dictionnaires, il aborde la lettre C qui, à elle seule, en couvre un autre dixième. Avant ça, il juge qu’il est temps d’approfondir sa méthode de renvois, comme agape à banquet, baïonnette à arme, balnéaire à bain… etc.

Quatre séries de combinaisons (AA, AB, BA, BB) donnent lieu à plus de cinquante-mille transferts d’expressions qu’il baptise « reports ». 

Quand il pense aux 676 séries de reports, auxquelles vont l’entraîner les 26 lettres de l’alphabet de façon exponentielle, il se rend compte de la tâche colossale qui l’attend, soit 15 années de travail qui n’offriront d’intérêt véritable qu’à l’achèvement de la série finale ZZ.

Il rencontre au château de Pitray, (près de Saint-Emilion) ancienne demeure de la Comtesse de Ségur, L.G Descheper (qui habitera un temps l’appartement de mes parents à Casablanca) sa première collaboratrice.   L’été suivant, à Paris, il recrute deux autres aides, un lieutenant  et un autre type dont il se sépare rapidement, l’individu lui envoyait des relevés de 25 heures de travail quotidien, cherchez l’erreur. En se promenant le long de la Seine, il découvre l’idée d’un cadre alphabétique tout simple.

 

Au début de décembre 1949, il fait imprimer une brochure de 12 pages contenant les premiers articles de la lettre A ; son titre : « Dictionnaire général des noms et des associations d’idées ». Le problème le plus compliqué à résoudre est la numérotation des citations, à gauche de la première colonne, à droite de la seconde. Ce système permet d’utiliser une même citation pour illustrer différents mots sans avoir à la répéter intégralement.

Fin septembre 1950, il revient à Alger. Il trouve les 6 millions nécessaires (souscriptions difficiles à trouver puisqu’il s’agit d’engager financièrement des personnes, pour un résultat final non espéré avant au moins dix ans, avec l’inflation et la dévaluation attendue du Franc) pour former son capital social. La « Société du Nouveau Littré » naît officiellement à Casablanca (le président du conseil d’administration Jean Averseng habite en effet au Maroc) avec un capital de 12 millions.

Le 15 mai 1952, Paul Robert accueille son premier rédacteur Alain Rey, suite à un examen par correspondance ; et, le 5 juillet, il fait signer son contrat de travail à mon père qui va s’attaquer à la lettre C. Une équipe se monte autour d’eux. Le 20/01/1953, déménagement à Casablanca (Maroc) pour rejoindre le service administratif et commercial. Dans le Figaro littéraire, André Billy (auteur et critique littéraire, membre de l’académie Goncourt) parle d’un « phalanstère de jeunes linguistes ».

 Le trente mai, une de mes tantes intègre la société en tant que secrétaire.

 Début juillet 1954, il recrute le normalien Henri Cattez puis reçoit la participation (à distance) du grammairien Robert Le Bidois, réviseur à la division linguistique de l’O.N.U à New-York.

Mon père nommé aumônier auxiliaire à la division de Casablanca, quitte le groupe le 8 août 1955.

Les événements et notamment les massacres d’Oued Zem, le 15 août, poussent la société de Paul Robert à partir pour Paris. Le second fascicule du tome III ne paraîtra pas avant l’été 1956.

En novembre 1957, la lettre J est en cours. Le quatrième volume est bouclé le 24/10/1959 sur le mot OR, soit 920 pages en deux ans.

Alain Rey est secrétaire général de la rédaction. En novembre 1961, c’est l’achèvement du tome V. Le 28/06/1964, vers 19h, Paul Robert atteint l’article zymotique, le dictionnaire est achevé. Fin septembre, le sixième et dernier volume rejoint ses frères. Il peut s’attaquer à la fabrication du « Petit Robert »

 

 

Jean Matthieu Clot

         

         



08/06/2021
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