Terre de l'homme

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Nous paysans

 

paysan groupe

 

 

Image extraite du documentaire "Nous paysans" de Fabien Béziat et Agnès Poirier / Guy Perrichon - Editions Les Arènes

 

 

En octobre 2020, je vous proposais l'article intitulé "Farrebique et Biquefarre", référence à deux films tournés par Georges Rouquier à 40 ans d'intervalle, en 1946 (Farrebique) et 1983  (Biquefarre) dans le même village du Rouergue, avec les mêmes personnes et dans les mêmes fermes.

Le réalisateur voulait nous faire toucher du doigt, la grande mutation du monde paysan, sans utiliser d'acteurs mais avec  de vrais personnages.

La télé-réalité avant l'heure !

 

Dans cet article, je souhaitais une suite à ces témoignages qui aurait couvert la période  allant de 1983 à nos jours.

Voilà qui est fait !

France 2 nous a proposé le 23 février dernier "Nous paysans" un documentaire sur un siècle de mutations du monde paysan : succès considérable, 5 millions de téléspectateurs à une heure de grande écoute. C'est dire que cette thématique intéresse une grande partie de nos compatriotes.

 

J'ai vécu, depuis mon enfance, les transformations du monde rural. Je n'aurais pas l'outrecuidance de les rappeler, je suis loin d'être le plus qualifié. Je me contenterai de faire état de quelques témoignages personnels qui pourraient s'insérer dans les grandes séquences de cette mutation.

 

 

paysan et sa charrue

 

 

Enfant, je rencontrais dans l'épicerie de ma grand-mère aux Eyzies, ces femmes vêtues de noir, cabas à la main et qui venaient à pied, de très loin, faire leurs courses. Elles passaient autant de temps dans la cuisine où on leur offrait le café que dans l'épicerie. Femmes simples et chaleureuses, discrètes sur leurs problèmes domestiques et auprès desquelles j'ai tout naturellement appris le patois. Il m'arrivait souvent de les retrouver au cours de tournées que faisait mon père avec sa jardinière tirée par son cheval. Le "Bout du monde", le Repaire, la Mazétie, ce n'était pas la porte à côté. Je passais aussi les étés chez mon grand-oncle Laflaquière, boulanger à Meyrals, que je suivais dans ses tournées où nous déposions, de ferme en ferme, les grosses tourtes sorties du four. L'échange blé/pain évitait l'utilisation de l'argent. Combien de fois ai-je fait le trajet de Meyrals à Carmensac !

Est-il besoin de dire que cette époque est plus celle de Farrebique que de Biquefarre ?

J'ai le souvenir de la ferme d'un proche parent, située aux abords du château de Commarque : terre battue dans la cuisine, agriculture vivrière, un cochon, de la volaille et un petit champ de haricots dans la Beune marécageuse. Nos parents étaient loin de rouler sur l'or mais l'accueil était toujours chaleureux et le couvert mis pour celui qui arrivait à l'improviste. Il est vrai que les fermes des vallées fertiles procuraient d'autres ressources.

Dans ce monde difficile où le gaspillage était exclu, il n'y avait pas la place pour ces querelles byzantines qu'on a connues, avec le coq d'Ethouars et les oies de Sainte Nathalène.

 

 

 

paysan sur travteur

 

                                                                    image extraite de "Nous paysans"

 

 

Le monde rural d'aujourd'hui a une apparence aux contours mal définis. Celui d'avant avait une réalité : les liens étroits qui unissaient paysans, boulangers, minotiers, charrons, forgerons et petits commerçants. La solidarité était de mise.

Je garde de cette époque le souvenir heureux de gens simples et cordiaux, économes, près de leurs sous, mais le coeur sur la main.

 

Il n'est pas étonnant que dans la période qui suivit la défaite de 1940, le pouvoir politique ait voulu s'attirer les bonnes grâces de cette société rurale enracinée dans ses traditions et porteuse de valeurs ancestrales. C'est le discours de Pétain du 25 juin 1940 : "Je hais les messages qui vous ont fait tant de mal .... La terre, elle, ne ment pas. Aux heures les plus sombres, c'est le regard paisible et décidé du paysan français qui a soutenu ma confiance".

Jean Gazave, en 1941, dans son livre "La terre ne ment pas", profitait opportunément du rationnement pour souligner que la  seule activité productive est l'agriculture car, seule, elle produit des richesses renouvelables. Il reprenait ainsi la pensée des physiocrates de la fin des années 1750. Le pouvoir de l'époque a tout fait pour exalter le monde rural et en faire un modèle avec, en contrepoint, l'usine, la ville, lieux de contestation et de désordre. Cette époque est révolue et le monde paysan n'est pas tombé dans le piège de la collaboration.

 

Un grand saut dans le temps  : j'ai, à partir de la fin des années 70, eu l'occasion, à travers mes mandats, d'observer de plus près ce monde qui allait connaître des mutations encore plus profondes. Les jeunes agriculteurs supportaient mal la cohabitation de 2 ou 3 générations sous le même toit. Les primes de dé-cohabitation répondirent partiellement à leur souhait d'indépendance. Pour augmenter le rendement de certaines productions, des syndicats d'irrigation se créèrent et reçurent des aides financières. Celui du Coux fut le 2ème sur le département   après celui de Montignac. Une délégation s'était rendue à Grenade-sur-l'Adour (Gers) : son lac collinaire de 800 000 mètres cubes et des rendements de maïs multipliés par trois, emportèrent son adhésion.

 

 

agriculture intensive

 

 

Dans cette course à l'investissement, au rendement, des agriculteurs s'épuisèrent, virent leurs biens saisis et y laissèrent leur santé. Deux souvenirs  douloureux : cet agriculteur, au bout du rouleau, que nous avons soutenu symboliquement en l'aidant à faire sa récolte de pommes de terre. Sa propriété fut saisie mais, du moins, s'est-il senti moins seul, ce jour-là. Je ne saurais passer sous silence la mort de deux agriculteurs victimes de produits  "phytosanitaires" dont on leur avait caché la nocivité.

 

 

paysans aujourd\\\'hui 2

 

                                                                      Image extraite du film "Nous paysans"

 

Dans ce monde rural, tout n'est pas aussi sombre. On trouve dans l'émission "L'amour est dans le pré", des gens heureux qui aiment leur métier, pensent à l'avenir en dépit d'un travail qui leur laisse peu de loisirs.

Voilà quelques témoignages qui, sans doute, relèvent plus du sentiment que d'une analyse rigoureuse mais je souhaitais vous faire part de  ce que m'a apporté ce monde rural dont l'émission "Nous paysans" résume en une heure et demie, véritable exploit, un siècle de mutations.

 

 

Pierre Merlhiot

 

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Demain samedi : Vers le pays de la reine de Saba : le train franco-éthiopien ( fin du voyage de Jacques Lannaud, enfant ).

Après-demain dimanche : L'assistance ce 13 mars, au rendez-vous du Canadier, sera sur les pas de Ralph Finkler.



05/03/2021
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