Un siècle d’effervescence, d’idées et d’espérances (partie III )
George Sand - dessin d'Alfred de Musset
Jacques Lannaud poursuit une passionnante évocation du XIXème siècle autour du personnage central de George Sand. Pour lire ou relire les deux premières parties, cliquez sur les liens suivants : partie I, partie II.
Dans ce lieu retiré de la campagne berrichonne, à cinq km de La Châtre, dans cette thébaïde, la jeune Aurore va grandir aux côtés de sa grand-mère qui va la prendre en main et veiller scrupuleusement sur son éducation qu’elle veut la plus complète et raffinée possible. Elle fait appel à Jean-François Deschartres devenu un ami et auquel elle avait confié la direction du domaine qui, compte tenu de ses capacités, sera le précepteur exigeant d’Aurore, à laquelle il dispensera un enseignement complet y compris le latin qu’elle arrivait à déchiffrer dans le texte. Une anecdote nous laisse entrevoir le contexte : « A l’habitude, il était débonnaire avec moi et me savait un gré infini de la promptitude avec laquelle je comprenais ses enseignements quand ils étaient clairs. Mais, en de certains jours, j’étais si distraite qu’il lui arriva, enfin, de me jeter à la tête un gros dictionnaire de latin. Je crois qu’il m’aurait tuée si je n’eusse lestement évité le boulet en me baissant à propos. Je ne dis rien du tout, je rassemblai mes cahiers et mes livres, je les mis dans l’armoire et j’allai me promener. Le lendemain, il me demanda si j’avais fait ma version « Non, lui dis-je, je sais assez de latin comme cela, je n’en veux plus. *»
Puis, elle quittera Nohant pour intégrer le couvent des Anglaises à Paris. Elle traverse une période d’adaptation difficile, confrontée à l’isolement, obligée de se plier à la discipline de l’institution et tombera dans une sorte de torpeur mystique et de confusion. Après entretien, un abbé la conseille et lui « donne pour pénitence de retourner aux jeux et amusements innocents de son âge*. »
La confiance en elle-même revenue, elle entreprend d’élaborer de petites saynètes et parvient à avoir l’accord des sœurs responsables pour monter un spectacle. Et, dans ce lieu clos, elle va présenter une pièce de Molière « Le Malade imaginaire », auteur banni des lieux, ignoré des sœurs et des pensionnaires qui n’ont pas eu une aussi bonne éducation des œuvres classiques. Ayant adapté les dialogues aux circonstances présentes, distribué les rôles à ses amies anglaises et parisiennes, le succès est complet : « Il fallait faire rire la Supérieure, mettre en gaieté les plus graves personnes de la communauté. *» La mère supérieure éclata de rire, la partie était gagnée.
George Sand par Delacroix
De jeune fille, la voici jeune femme qu’il faut marier mais sa grand-mère meurt. A une amie, elle avait écrit : « Je regarde le mariage comme un lien très pesant et la perte de la liberté comme la plus grande sottise qu’on puisse faire. » Finalement, elle va prendre son destin en main et, le 17 Septembre 1822, elle épouse François Dudevant, aura deux enfants : Maurice en 1823 et Solange en 1828.
Au bout d’un certain temps, elle se rend compte que l’entente n’est pas parfaite entre eux et se décide à lui écrire une longue lettre : « …je vis que tu n’aimais point la musique… que tu lisais par complaisance… quand nous causions surtout littérature, poésie ou morale, tu ne connaissais pas les auteurs dont je te parlais ou tu traitais mes idées de folies, de sentiments exaltés et romanesques. * » Fracture inévitable mais, dans cette désunion, c’est elle qui prend le plus de risques. Elle intente un procès afin de récupérer ses biens, à savoir Nohant et la garde de ses enfants. Elle gagne à la surprise générale grâce à son avocat et ami Michel de Bourges.
Ce dernier événement est une victoire pour Sand, pas seulement sur un plan personnel mais sur cette société conservatrice et phallocratique, elle qui a une vision sociétale beaucoup plus large et égalitaire de la place de la femme. Ses idées avancées pour l’époque, elle les défend avec sa ténacité habituelle, ne s’avouant jamais vaincue et, en cela, elle a « ses vieux camarades », son noyau berrichon, amis d’enfance. Dans cette épreuve risquée, ils la protègent, la logeront chez eux, la soutiendront dans ce divorce qui tourne au vinaigre.
Mais, ce qui les unit, plus encore, c’est leur contestation morale et politique, leur communauté de vues, leurs aspirations partagées. Tous ces amis regroupés autour d’elle ne se contentent plus d’une société aristocratique et du dogmatisme clérical. Beaucoup sont des enfants du Siècle des Lumières, libres-penseurs inspirés par Voltaire ou Rousseau « presque tous rêvaient un avenir pour la France sans se douter qu’ils joueraient un rôle plus ou moins actif dans les événements soit politiques soit littéraires de la France. * »
Un procès est intenté en Berry aux Républicains en 1835, défendus par Michel de Bourges, l’ami de Sand, grâce auquel elle a gagné le sien contre Dudevant. Tous unis autour de leurs idées, ils fondent des journaux : L’Eclaireur de l’Indre, le Travailleur de l’Indre dont Sand est la principale contributrice littéraire et monétaire et Pierre Leroux, éditeur, philosophe, politicien théoricien du socialisme, l’inspirateur et l’imprimeur, groupe à l’origine des premiers banquets réformistes à La Châtre et Châteauroux en 1839 et des révoltes paysannes du Buzançais en 1847, durement réprimées.
Pierre Leroux
Tout cela l’incitera à s’engager, encore plus, dans la défense de ses idées républicaines, entretenant, aussi, une grande amitié avec Victor Hugo par correspondance mais qui ne viendra jamais à Nohant. Elle se rapproche, résolument, d’Alexandre Ledru-Rollin, un artisan très actif de la révolution de 1848 et s’implique dans le lancement de trois journaux : La Cause du Peuple, Le bulletin de la République, L’Eclaireur, dans lesquels elle écrira des articles pour soutenir le gouvernement républicain.
Mais, c’est à Nohant qu’elle retourne, là où elle se recueille, se ressource auprès de sa famille, de ses amis et, plus tard, de ses petits-enfants, là où elle s’est mise à écrire, dans le silence de la nuit jusqu’au matin : romans à succès, sa Correspondance abondante avec ses amis, et sa propre histoire « Histoire de ma vie ». Elle écrit, alors, à son amie Hortense Allart : « la politique proprement dite, je la déteste, je trouve que c’est l’école de la sècheresse, de l’ingratitude, du soupçon et de la fausseté…Moi, je n’ai qu’une passion, l’idée d’égalité. Les politiques actuels en sont dépourvus : Leroux bat la campagne, Cavaignac ne sait pas ce que c’est que la France. Le prince Napoléon n’a pas de cervelle. Proudhon manque de quelque chose qui rend sa grande intelligence inféconde. La droite est perfide, la gauche est bête ou folle. * » Puis, ce sera l’avènement de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République après référendum.
Son bonheur, elle le construit, ici, entourée de ses amis, de sa famille et, plus tard, de ses petits-enfants. C’est là qu’elle crée sa propre république de l’Egalité, Liberté, Solidarité.
Nohant, dessin de George Sand
Là, elle est préoccupée par l’analphabétisme qui règne dans les campagnes, la condition difficile des paysans, les rudes travaux des champs. Elle sait combien ce travail de la terre finit par affecter le travailleur, elle se désole de voir la productivité inférieure aux sacrifices consentis. Elle sait que tout cela pourrait évoluer, que les progrès de l’agriculture, grâce à la révolution industrielle en cours, transformeront peu à peu la relation de l’homme avec la terre.
Ces habitants du pays de La Châtre, ces gens de la terre, ses amis parisiens, sont tous ses invités, y compris tout le personnel grâce auquel elle peut faire fonctionner cette vaste demeure où tant de gens se croisent et pour lesquels, il faut préparer les repas d’une vingtaine de personnes, quotidiennement.
Et, on en retrouve certains sur les planches en train de jouer dans une pièce de théâtre, rassemblés, le soir, devant le castelet de Maurice Dudevant, assistant au spectacle de marionnettes qu’il a lui-même sculptées et que George a habillées, de ses doigts habiles.
Non, ce n’est pas une académie, Nohant ; on y discute, on s’active, on se promène dans le jardin, dans le parc, on y écoute, parfois, du Liszt, du Chopin, du chant ou tout simplement les rossignols.
On y critique la politique du nouvel « Empereur » qui ne s’occupe pas du peuple, des paysans, mais se pavane dans de magnifiques palais avec l’Impératrice, en grande toilette.
Jacques Lannaud
* Extraits de « Histoire de ma vie »
A suivre, un chapitre final sur les passions de George Sand : vie sentimentale mais, surtout, sa passion de la nature, des jardins, des arbres, des fleurs, son côté écologique, en terminant sur la magnifique grand-mère qu’elle fut.
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