Terre de l'homme

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Sur le chemin de la Combe-aux-Fées 

 

 

Avant d'ouvrir le feuilleton annoncé sur les villes qui ont perdu leur rang de sous-préfecture, en 1926 pour la majorité d'entre elles,  suivons Alphonse Daudet sur la route de la Combe-aux-Fées. Cette route, en 1866, n'avait pas connu la maculation du bitume, ce "maculage" qui, en 1938, peina Dubet et Cassagnac, corédacteurs d'un texte sur la Barre de Domme.* Dans la ballade en prose de Daudet, la route ne pouvait donc qu'être blanche.

 

https://terre-de-l-homme.blog4ever.com/domme-joyau-medieval-du-perigord-a-fortement-marque-a-dubet-r-cassagnac-p-flottes

 

 

 

Connaissez-vous la belle route blanche qui conduit le plus haut fonctionnaire de l'État à la Combe-aux- Fées... certainement pas. La Combe-aux-Fées n'est une cité qui n'exista que dans l'esprit fertile d'Alphonse Daudet. Il nous a laissé dans son oeuvre, ses superbes "Lettres de mon moulin" et tant pis si ce recueil littéraire est tout à la fois un merveilleux florilège de ballades bucoliques et aussi une réflexion philosophique. La chèvre de Monsieur Seguin émeut toujours les jeunes enfants, elle est une allégorie de conduite préconisant l'humilité et idéalisant l'autorité. Elle sanctionne celles et  ceux qui veulent s'en affranchir. Le représentant de l'État dans une sous-préfecture, symbolise, surtout à l'époque impériale, la  délégation de l'État et, ainsi, affirme l'autorité. Ce rigoureux sous-préfet n'en est pas moins un homme et, loin du protocole qu'il doit incarner "tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers". 

 

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Le sous-préfet aux champs

dans "Les Lettres de mon Moulin"

d'Alphonse DAUDET

https://www.maison-alphonse-daudet.fr/

 

 

BALLADES EN PROSE.

 

 

 

En ouvrant ma porte, ce matin, il y avait autour de mon moulin un grand tapis de gelée blanche. L’herbe luisait et craquait comme du verre ; toute la colline grelottait… Pour un jour, ma chère Provence s’était déguisée en pays du Nord ; et c’est parmi les pins frangés de givre, les touffes de lavandes épanouies en bouquets de cristal, que j’ai écrit ces deux ballades d’une fantaisie un peu germanique, pendant que la gelée m’envoyait ses étincelles blanches et que, là-haut, dans le ciel clair, de grands triangles de cigognes venues du pays de Henri Heine descendaient vers la Camargue en criant : « Il fait froid… froid… froid. »

II - le sous-préfet aux champs.

 

  1. le sous-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la sous-préfecture l’emporte majestueusement au concours régional de la Combe-aux-Fées. Pour cette journée mémorable, M. le sous-préfet a mis son bel habit brodé, son petit claque, sa culotte collante à bandes d’argent et son épée de gala à poignée de nacre… Sur ses genoux, repose une grande serviette en chagrin gaufré qu’il regarde tristement.
  2. le sous-préfet regarde tristement sa serviette en chagrin gaufré ; il songe au fameux discours qu’il va falloir prononcer tout à l’heure, devant les habitants de la Combe-aux-Fées :

— Messieurs et chers administrés…

Mais il a beau tortiller la soie blonde de ses favoris et répéter vingt fois de suite :

— Messieurs et chers administrés… la suite du discours ne vient pas.

La suite du discours ne vient pas… Il fait si chaud dans cette calèche !… À perte de vue, la route de la Combe-aux-Fées poudroie sous le soleil du Midi… L’air est embrasé… et sur les ormeaux du bord du chemin, tout couverts de poussière blanche, des milliers de cigales se répondent d’un arbre à l’autre… Tout à coup, M. le sous-préfet tressaille. Là-bas, au pied d’un coteau, il vient d’apercevoir un petit bois de chênes verts qui semble lui faire signe.

Le petit bois de chênes verts semble lui faire signe :

— Venez donc par ici, monsieur le sous-préfet ; pour composer votre discours, vous serez beaucoup mieux sous mes arbres…

  1. le sous-préfet est séduit ; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de l’attendre, qu’il va composer son discours dans le petit bois de chênes verts.

Dans le petit bois de chênes verts, il y a des oiseaux, des violettes, et des sources sous l’herbe fine… Quand ils ont aperçu M. le sous-préfet avec sa belle culotte et sa serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés de chanter, les sources n’ont plus osé faire de bruit, et les violettes se sont cachées dans le gazon… Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de sous-préfet, et se demande à voix basse, quel est ce beau seigneur qui se promène en culotte d’argent.

À voix basse, sous la feuillée, on se demande quel est ce beau seigneur en culotte d’argent… Pendant ce temps-là, M. le sous-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois, relève les pans de son habit, pose son claque sur l’herbe et s’assied dans la mousse au pied d’un jeune chêne ; puis il ouvre sur ses genoux, sa grande serviette de chagrin gaufré et en tire une large feuille de papier ministre.

— C’est un artiste ! dit la fauvette.

— Non, dit le bouvreuil, ce n’est pas un artiste, puisqu’il a une culotte en argent ; c’est plutôt un prince.

— C’est plutôt un prince, dit le bouvreuil.

— Ni un artiste, ni un prince, interrompt un vieux rossignol, qui a chanté toute une saison dans les jardins de la sous-préfecture… Je sais ce que c’est : c’est un sous-préfet !

Et tout le petit bois va chuchotant :

— C’est un sous-préfet ! C’est un sous-préfet !

— Comme il est chauve ! remarque une alouette à grande huppe.

Les violettes demandent :

— Est-ce que c’est méchant ? 

— Est-ce que c’est méchant ? demandent les violettes.

Le vieux rossignol répond :

— Pas du tout !

Et sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, les sources à courir, les violettes à embaumer, comme si le monsieur n’était pas là… Impassible au milieu de tout ce joli tapage, M. le sous-préfet invoque dans son cœur, la Muse des comices agricoles, et, le crayon levé, commence à déclamer de sa voix de cérémonie :

— Messieurs et chers administrés…

— Messieurs et chers administrés, dit le sous-préfet de sa voix de cérémonie…

Un éclat de rire l’interrompt ; il se retourne et ne voit rien qu’un gros pivert qui le regarde en riant, perché sur son claque. Le sous-préfet hausse les épaules et veut continuer son discours ; mais le pivert l’interrompt encore et lui crie de loin :

— À quoi bon ?

— Comment ! à quoi bon ? dit le sous-préfet, qui devient tout rouge ; et, chassant d’un geste cette bête effrontée, il reprend de plus belle :

— Messieurs et chers administrés…

— Messieurs et chers administrés…, a repris le sous-préfet de plus belle.

Mais alors, voilà les petites violettes qui se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges et qui lui disent doucement :

— Monsieur le sous-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ?

Et les sources lui font sous la mousse une musique divine ; et dans les branches, au-dessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs ; et tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours.

Tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours… M. le sous-préfet, grisé de parfums, ivre de musique, essaye vainement de résister au nouveau charme qui l’envahit. Il s’accoude sur l’herbe, dégrafe son bel habit, balbutie encore deux ou trois fois :

— Messieurs et chers administrés… Messieurs et chers admi… Messieurs et chers…

Puis il envoie les administrés au diable ; et la Muse des comices agricoles n’a plus qu’à se voiler la face.

Voile-toi la face, ô Muse, des comices agricoles !… Lorsque, au bout d’une heure, les gens de la sous-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d’horreur… M. le sous-préfet était couché sur le ventre, dans l’herbe, débraillé comme un bohème. Il avait mis son habit bas ;… et, tout en mâchonnant des violettes, M. le sous-préfet faisait des vers.

 

 

 

_______________________

 

 

Du sous-préfet impérial au sous-préfet républicain.

 

Ces représentants de l'État ne sont plus, exclusivement, des sous-préfets. Depuis plusieurs décennies, la fonction se féminise et, dans notre ruralité profonde, nous avons connu plusieurs sous-préfètes qui ont été remarquées pour leurs qualités, là où, au début du siècle précédent, on n'aurait pas envisagé ces fonctions revenant à des profils féminins.

 

Quoi qu'il en soit, on ne saurait imaginer l'évolution officielle bucolique du sous-préfet s'attardant à la composition de vers dans un champ.  

 

Le sous-préfet, bien évidemment, est le représentant de l'État délégataire du préfet du département.

Ce haut-fonctionnaire, jadis, représentait le préfet dans diverses manifestations, comices agricoles, inaugurations,  remise des prix scolaires, etc.

 

J'ai la parfaite souvenance du conseil de révision de 1964 et le sous-préfet d'alors était un personnage qui honorait sa terre natale, la Kabylie.  Le MDLC André Dauriel, fier de diligenter les honneurs, avant de mettre en place les sous-officiers de la gendarmerie nationale, dit "Tout à l'heure, quand le sous-préfet arrivera, j'ordonnerai le garde-à-vous. Cette position sera naturellement prescrite pour les gendarmes, elle vous concernera aussi."

À dire vrai, la trentaine de jeunes gens rassemblés là, avaient peu d'idées -voire aucune- du rôle protocolaire de ce délégataire du préfet. Ce dernier interrogea, avec délicatesse et bonhomie, chacun d'eux et posa des questions sur leur place dans la société en invitant les jeunes gens à s'exprimer dans la simplicité sur leurs études achevées ou en cours, sur leurs ambitions et sur leurs attentes.

Abdelkader Stambouli quitta la cité de La Boétie pour rejoindre Montbard. Son pays natal ayant acquis sa souveraineté, en 1962, d'aucuns ont dit que, quelques années plus tard, il passa la Méditerranée pour apporter sa compétence au service de cette jeune République. Une rue d'Alger porte son nom.

 

Le sous-préfet d'aujourd'hui, bien plus accessible que le sous-préfet impérial

Le sous-préfet est un haut-fonctionnaire de l'État. Il obéit aux ordres du préfet. Membre du corps préfectoral, le sous-préfet aide le préfet dans la réalisation de leurs différentes missions et attributions. La notion de sous-préfet désigne également le grade atteint par certains hauts-fonctionnaires.

Haut-fonctionnaire de terrain,  il conseille et, parfois, doit calmer les esprits.

 

Les sous-préfets sont nommés parmi les administrateurs civils en service dans une préfecture ou dans une Administration centrale du Ministère chargé de l'Intérieur et totalisant au moins deux années d'ancienneté. 

 

Le sous-préfet est sollicité par les élus de l'arrondissement mais aussi par des personnalités des forces vives qui savent apprécier les qualités d'écoute et de conseil du représentant de l'État.

 

 

Le champ est ouvert... et immense.

 

 

P.F



28/06/2025
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