Terre de l'homme

Terre de l'homme

Un exemple d’évolution darwinienne

Trois millions deux cent mille ans (3.200.000) séparent Toumaï (Sahelanthropus Tchadensis) de Lucy (Australopithecus Afarensis) la petite Africaine humanoïde, haute comme trois pommes, qui se dresse sur ses jambes, marche, court, embrasse l’espace jusqu’à l’horizon, grimpe aux arbres pour y cueillir baies ou fruits, arboricole intégrée aux chasseurs-cueilleurs nomades, qui se baigne dans les eaux tumultueuses du fleuve Aouache qui prend sa source dans les montagnes éthiopiennes.

Longue évolution, pendant laquelle ces humanoïdes de la corne de l’Afrique arpentent, peu à peu, ces immenses territoires, qui les mènera à une étape décisive, celle de « L’odyssée dans le temps et l’espace » (article de Pierre Merlhiot du 11/2020), la migration de l’homme africain vers l’Europe, le Proche-Orient, l’Asie à travers le couloir du Levant.

L’Homo Ergaster est, à l'ère du Pléistocène, autour de – 1.800.000 ans, un artisan qui développe, invente, perfectionne ses outils, ses armes, aménage des abris rocheux voire des grottes, se protège du froid. Dans cette Europe inconnue où il s’avance, règne une période glaciaire, une faune végétale et animale qu’il découvre au fur et à mesure de sa pénétration dans ces territoires.

Il va y rencontrer d’autres populations plus ou moins nomades, ayant leurs propres particularités, rencontres étranges, inattendues qui évolueront au fil du temps.

Car, dans cette période de migration entre -70 000 et -40 000, les premiers Sapiens africains et les Néanderthaliens apprendront à se connaître, à se côtoyer, à échanger, enfin à se fréquenter sachant que 3% de gènes néanderthaliens demeurent dans notre propre génome.

Je reprends ici quelques citations de l’article de Pierre Merlhiot « La génétique au service de la quête de nos origines » (Mars/2021) qui écrivait :

« L’homme de Néanderthal, découvert en Allemagne en 1856, dont on trouve des semblables en Dordogne au Moustier et à la Ferrassie, faisait l’objet de discrédits : pour certains dont Marcellin Boulle (célèbre paléontologue du Museum National d’Histoire Naturelle), c’était au mieux une sous-espèce, un sous-homme, au pire, un être bestial. Voici le portrait qu’il en faisait avec certains de ses confrères : crâne allongé, bourrelets sus-orbitaires épais, nez saillant, membres courts, absence de menton, silhouette massive et voûtée comme accablé par le destin ». Conclusion : « 1 à 3% de l’ADN de Néanderthal sont présents dans les génomes d’une large partie de l’humanité à l’exclusion de la population africaine. »

On peut, donc, en conclure que cette rencontre a bien eu lieu sur le continent européen et non l’inverse , qu’il ne s’agit pas, finalement, d’individus n’ayant rien en commun comme le laisserait entendre la description tendancieuse sus-jacente mais, bien plutôt de branches humaines cousines germaines comme le laisse supposer le rapprochement qui s’opèrera entre eux.

L’exploration des différentes couches géologiques au Paléolithique inférieur, moyen et supérieur déclinées en : Moustérien, Châtelperronien, Aurignacien, Gravettien, Solutréen, Magdalénien ont permis d’identifier des gisements de pierres de silex taillées, façonnées , d’établir une précieuse chronologie, de comprendre, au fil du temps, l’évolution du chasseur-cueilleur initial en un artisan se servant d’outils nouveaux « le galet aménagé » pour découper la viande, le Biface pour le gibier, tailler le bois et ces « Feuilles de Laurier » pour de multiples usages domestiques voire d’ armes de poing ou montées sur tiges de bois des lances redoutables.

 

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Fouilles menées sur le site archéologique de Canyars, en Catalogne. © Montserrat Sanz Borras, Juan Daura, Francesco d’Errico, Luc Doyon

 

De très récentes fouilles nous en apprennent un peu plus, diligentées par le CNRS- Université de Bordeaux sur un site archéologique situé au Nord-Est de Barcelone, le site de Canyars en Catalogne, alors que sur ces terres européennes vivaient différents groupes humains des Homo Sapiens venus d’Afrique, il y a environ -60 000 ans.

La maîtrise du feu avait été primordiale pour la survie, pour se défendre contre des animaux redoutables tels que les ours, les loups ou autres bêtes sauvages. Le feu apportait, aussi, cette précieuse chaleur pour résister aux températures extrêmes et par la cuisson, une alimentation assainie et plus facilement digestible. Mais, abris naturels ou confectionnés, apport du feu, étaient-ils suffisants pour se protéger de froids rigoureux ? Certes, leur couche de poils devait être plus épaisse qu’aujourd’hui mais bien moins protectrice que la fourrure d’animaux comme les ours, renards, bisons...

 

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Lame de silex retouchée typique de l’Aurignacien. © Montserrat Sanz Borras, Juan Daura, Francesco d’Errico, Luc Doyon

 

Or, dans ce site archéologique, la découverte majeure est celle de l’usage de techniques de poinçonnage ayant pour but d’adapter et d’ajuster des vêtements fourrés près du corps, pour se protéger des températures glaciales. Ces Sapiens et leurs congénères néanderthaliens, ici présents depuis plus de 300 000 ans, déambulaient-ils en tenue d’Adam et Eve ? Ils n’auraient pu résister à ces froids extrêmes et la simple peau de bison ou un assemblage de peaux n’auraient pu leur garantir cette protection indispensable dans leurs déplacements.

« Il y a plusieurs façons d’attacher des vêtements avec des lanières ou des cordes. Mais, pour affronter des climats aussi rudes, il est nécessaire que les vêtements soient ajustés et hermétiques, fermés à l’aide de coutures. » déclare Francesco D’ Errico, le responsable des fouilles.

De plus, des couches supplémentaires étaient nécessaires en-dessous des peaux fourrées afin d’éviter que la transpiration ne se transforme en gel. Et, l’analyse génétique permet de conclure que ces Hominidés portent de tels « habits » ajustés depuis leur arrivée. »

 

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Os avec des marques produites par poinçonnage et perforations expérimentales produites sur du cuir avec la même technique. © Montserrat Sanz Borras, Juan Daura, Francesco d’Errico, Luc Doyon

 

 

L’archéologie a permis au travers de sépultures anciennes, de trouver des objets destinés à attacher ces vêtements. Les premières aiguilles à chas en os sont datées de -26 000 ans mais, les plus anciennes en Sibérie et Nord de la Chine de -45 000 à -35 000.

« On a certes découvert des poinçons en os dont certains sont vieux de -75 000 ans en Afrique du Sud mais, jusqu’à maintenant, nous n’avions aucune preuve de l’utilisation du cuir. »

Or, sur le site de Canyars, un fragment d’os montre une trentaine de cupules (marques d’impact), traces réalisées grâce à des burins de pierre. « Nous avons reproduit ces cupules avec différentes méthodes. La méthode de percussion indirecte, c’est-à-dire en percutant sur un burin dont la pointe est appuyée sur le cuir posé sur l’os, est celle qui donne des cupules identiques parfaitement équidistantes et séparées d’environ 5 mm l’une de l’autre. Ces dispositifs excluent qu’il s’agisse de décoration ou d’un enregistrement numérique. »

Ainsi perforé, il suffisait de passer un lacet voire une lanière permettant d’ajuster le vêtement au corps.

Une fois organisé et en possession de ces avancées, l’Homo Ergaster, l’ingénieux artisan mais, aussi, chasseur-pêcheur, va résister aux nouvelles conditions climatiques... devenir un Sapiens-Sapiens, l’artiste qui inventera le trait coloré qu’il tracera sur les parois des parties reculées des grottes, témoin de leur génie esthétique, de leur culture qui reflète cette vie redoutable, dangereuse à laquelle ils ont fait face avec ingéniosité et courage,  nous laissant le soin de ce patrimoine rupestre qui se déroule sur les parois de nos grottes périgourdines et ailleurs.

 

Jacques Lannaud

 

 

 

 



10/05/2023
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