De battre mon coeur s'est arrêté
Le Roi Soleil - grille du château de Versailles
De battre mon coeur s'est arrêté : c'est par cette figure de style qu'en 2005, Jacques Audiard attire l'attention sur son film.
Cette figure de style, au nom barbare, le chiasme, donne, par un croisement d'éléments, plus de rythme à la phrase. Son emploi est relativement fréquent : Racine dans Andromaque :
"Je t'aimais, inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?".
Mais l'exemple le plus emblématique se trouve dans "Le bourgeois gentilhomme" où Molière s'en donne à coeur joie. Monsieur Jourdain, pour déclarer son amour, souhaite s'en tenir à :"Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour". Son maître de philosophie lui propose plusieurs façons d'agencer les mots. Retenons-en deux : "D'amour mourir, me font, belle marquise, vos beaux yeux" ou bien " Mourir vos beaux yeux, belle marquise, d'amour me font".
Le bourgeois Gentilhomme
On voit bien là que Molière se moque comme il le fera dans les précieuses ridicules, d'une mode qui mène parfois de la recherche de la subtilité à un langage maniéré et affecté. Le comble est atteint avec Maguenon qui demande à son valet :"Voiturez-moi les commodités de la conversation" pour désigner de simples fauteuils. Jean Cocteau s'était diverti de cette figure de style :"Je préfère les assauts des pique-assiettes aux assiettes de Picasso". Cependant, ce serait une erreur que de réduire la Préciosité du XVIIème siècle, à quelques exemples ridicules. Les précieuses dans leur salon, ont joué un rôle positif dans l'élaboration de notre langue : simplification de l'orthographe, invention de néologismes, recherche de la délicatesse dans le langage amoureux, valorisation du rôle de la femme dans la société.
Le Cid
C'est vraiment au XVIIème siècle que s'élabore notre langue avec Corneille, Racine, Molière....et on ne peut dissocier le courant littéraire qu'ils représentent de son contexte historique. Nous reviendrons sur ce qu'il est convenu d'appeler le Classicisme abordé, il y a peu, par Pierre Fabre (Molière naquit, il y a 4 siècles aujourd'hui) et Jacques Lannaud (A Propos du XVIIème siècle). Mais revenons un instant sur ce qui fut l'objet de notre réflexion, en octobre 2021 : le Romantisme ( Levez-vous orages désirés). Cliquez sur les titres en rouge pour lire les articles.
Au 19ème siècle, toute une génération de jeunes hommes orphelins des passions nées de la révolution de 1789 et de l'épopée napoléonienne, se retrouve frustrée, confrontée au retour des Bourbons soucieux d'effacer 1789 et de restaurer l'ancien régime. Cette génération face à Louis XVIII, roi par défaut, à Charles X, roi ultra et revanchard et à Louis Philippe porté au pouvoir par effraction par la bourgeoisie, retrouvera d'autres voies pour satisfaire sa recherche, en toutes choses, de l'émotion et du lyrisme.
Nul mieux qu'Alfred de Musset dans " Les confessions d'un enfant du siècle" n'a expliqué ce qui a taraudé toute une génération : " Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes ; le peuple qui a passé par 1793 et par 1814, porte au coeur deux blessures. Tout ce qui était n'est plus et tout ce qui sera n'est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs les causes de nos maux".
Poursuivons :
" Les enfants regardaient tout cela, pensant que l'ombre de César allait débarquer à Cannes et souffler sur ces larves... C'était l'heure du ciel sans tache où brillait tant de gloire, ou resplendissait tant d'acier que les enfants respiraient alors".
Chateaubriand
Lamartine, Musset, Vigny seront les auteurs prestigieux de ce siècle où le romantisme trouvera sa meilleure expression. le XVIIème siècle connaîtra autant de talents et de génies. Corneille, Racine, Molière, eux aussi ne sauraient être dissociés du contexte historique. On aurait pu craindre, avec le Roi Soleil, monarque absolu, un déclin de la vie intellectuelle et artistique. Tel ne fut pas le cas. Bien que ne laissant à personne, le soin de diriger la culture, Louis XIV se fit, par goût et par calcul, le protecteur des Arts et Lettres, accordant pensions, organisant des fêtes, défendant les auteurs contre l'église. Il fit même preuve de mansuétude envers La Fontaine qui défendit le surintendant Fouquet tombé en disgrâce.
Le roi et ses courtisans
Vaux le Vicomte
Cette symbiose, qu'on ne trouve pas au XIXème siècle, entre un souverain épris d'art et des écrivains de génie, fera de notre langue, une langue capable d'exprimer avec le même bonheur, ce qui relève de la raison et ce qui relève de l'émotion. Deux exemples nous éclairent sur cette qualité :
"Et ton coeur, insensible à ces pauvres appas
Se figure un bonheur où je ne serais pas "
Polyeucte.
Un verbe relevant de la géométrie suivi d'un verbe d'état : on ne peut être plus abstrait et donc, en apparence, plus inapte à traduire une déception amoureuse. Tel n'est pas le cas.
Britannicus
Plus encore, dans Britannicus, voilà comment s'exprime Néron :
" Excité de désirs curieux,
cette nuit je l'ai vu arriver en ces lieux,
triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes
qui brillaient au travers des flambeaux et des armes.
Belle, sans ornement, dans le simple appareil
D'une vertu qu'on vient d'arracher au sommeil."
Voilà un superbe fantasme de Néron, mêlant passion du pouvoir et passion amoureuse, d'un érotisme que n'égalerait point un discours plus salace et grivois.
On voit bien là qu'il faut faire taire une idée reçue. Les romantiques n'ont ni le monopole de l'expression de la passion, ni celui de la rigueur de la forme comme en témoignent la fluidité et l'euphonie des vers suivants :
Ariane, ma soeur, de quel amour blessée
Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !
Phèdre
Cette langue est si identifiable au premier abord, si facile d'accès par sa clarté, qu'on est tenté de l'imiter ou de la pasticher, ce qu'a fait Paul Reboux, évoquant un duel, dans son livre "A la manière de " :
"Et deux fois dans mon corps, ce fer a repassé."
Nous avons, avec notre langue, un trésor entre les mains. L'éducation nationale a raison de continuer de programmer de telles oeuvres de la 6ème à la terminale.
Le français fut longtemps la seule langue de la diplomatie occidentale, elle reste une des six langues officielles de l'ONU et les perspectives de son extension sont bonnes pour l'avenir, ce qui ne doit pas occulter les dangers que lui font courir l'abandon du courrier traditionnel, l'orthographe phonétique des sms et l'écriture inclusive.
Le combat mené pour la défense de la langue française et de son excellence, vient de loin.
En 1539, François Ier fait du français, la langue officielle de notre pays.
En 1549, Joachim Du Bellay soutenu par les auteurs de la Pléiade, s'en fait un ardent défenseur dans son manifeste "Défense et illustration de la langue française".
En 1558, il en affirme la supériorité : "France mère des arts, des armes et des lois "
Pierre Merlhiot
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