Mois d'octobre 2021
De belles gens. Suite n° 7 . Saga de Françoise Maraval
DE BELLES GENS
Épisode n° 7
L'HÉRITIER
Un peu avant Noël, Emma annonce à Arthur qu’il va être papa. La jeune épouse a d’abord pensé à une crise de foie ou à un refroidissement et, de toute évidence, elle est enceinte. Arthur accueille la nouvelle avec enthousiasme ainsi que les familles respectives. Jean Maraval veut un petit-fils pour perpétuer le nom des Maraval. Emma rétorque sèchement qu’elle ne maîtrise rien et qu’elle sera très heureuse si le bébé est une fille. Elle ne veut pas laisser à son beau-père, le droit de régenter sa vie. Le chef de clan a accusé le coup mais il bat en retraite, il ne souhaite pas se mettre sa belle-fille à dos car il entend bien jouer son rôle de grand-père.
Emma sort des malles, les tenues de grossesse de Mme Anderson et les met à sa taille. Sans se soucier du « qu’en dira-t-on », elle les porte tous les jours ; elles présentent le triple avantage de confort, d’élégance et de discrétion. La future maman se sent bien. La layette occupe toutes les dames de la famille, même les doigts noueux de Marie de « la gravette » sont actifs. Des draps, des taies d’oreillers sont brodés, des couvertures tricotées. Tout est fin prêt pour l’arrivée de l’enfant de l’amour. La petite chambre qui donne sur la rue de la couture, sera parfaite pour accueillir le bébé.
C’est dans cette ambiance chaleureuse que Raymond, Jean Maraval est né le 1er Août 1908, à huit heures du matin. Quatre kilos et demi ! Quel beau bébé ! Emma a été très courageuse, la délivrance n’a pas été facile. Heureusement, la sage-femme, Mme Gibiat, a du métier et Maria et Alice se sont dévouées sans limite. Les hommes restent en bas dans la cuisine, en compagnie de la cafetière et de quelques alcools forts pour leur aider à supporter l’épreuve… La tribu Maraval est là au grand complet ainsi qu’Henri et Marcel. Les grands-parents Borde attendent à « la gravette » le retour des petits-fils qui apporteront la bonne nouvelle. Aline, à Bordeaux, viendra quand elle le pourra. Dès que le signal lui a été donné, Arthur est monté embrasser son épouse et son bel héritier, il était très ému et on le sentait faible sur ses jambes. Le sourire indulgent d’Emma lui a permis de se ressaisir.
L’enfant porte les deux prénoms de ses grands-pères : Raymond et Jean. Le premier, celui du grand-père défunt ne sera pas retenu dans la vie de tous les jours, il rappellerait trop souvent la douloureuse fin de vie de cet aïeul. L’héritier se prénommera, donc, Jean et, assez vite, Jeantou, le petit Jean. Quand il a vu son petit-fils pour la première fois, Jean senior n’a pas pu s’empêcher les commentaires d’usage :
- Il est le portrait craché de Fonfon, tu t’en rends compte Maria ! Les mêmes yeux, le même nez et le bas du visage : c’est vraiment lui. Maria acquiesce après avoir croisé le regard d’Emma, regard rempli d’indulgence et de tendresse. Tout le monde a compris, et puisque Fonfon ressemble à son père, forcement le bébé ressemble à son grand-père.
Marcel et Henri s’apprêtent à rejoindre « la gravette » quand Maria les interpelle :
-Revenez à midi, Alice et moi allons préparer un repas de circonstance, il faut fêter l’arrivée de ce petit ; si François et Marie peuvent se déplacer, nous les accueillerons avec plaisir.
Jean approuve l’initiative de sa femme :
-Eh oui ! Ce petit Maraval a droit à tous les honneurs de la famille.
Et cela dit en appuyant très fort sur le patronyme.
Dans un premier temps, les femmes restent chez Arthur, elles vont s’assurer du confort de la maman et de l’enfant et elles finissent de ranger la chambre et la cuisine avant de rejoindre leur domicile. Pendant que son épouse et le bébé se reposaient, Arthur est allé annoncer la bonne nouvelle à la Poste et à l’hôtel ; il en revient avec des bouteilles, cadeaux de ses patrons, elles seront bues au déjeuner. Jean Maraval est jovial, bavard et plein humour : l’arrivée d’un héritier change son caractère. Maria et Alice rayonnent de bonheur.
Après quelques nuits difficiles, Jeantou junior dort comme un prince. Emma l’allaite pendant quelques mois et la vie à trois est vite devenue une évidence. Le repas du baptême a lieu dans l’intimité mais au restaurant "chez Alicot", rue Gambetta ; les Alicot sont clients de la forge et Henri y a placé un contrat d’assurance. C’est pour cette raison principale que les deux frères veulent prendre en charge les frais de repas.
Chez Alicot, restaurant du centre, rue Gambetta
L’ambiance est formidable dans la simplicité et la tendresse. François, le grand-père de « la gravette » aborde Arthur avant le départ :
- Mon petit, j’ai besoin de te voir dès que tu peux te libérer de ton travail une heure ou deux, ou plutôt viens à la maison, dimanche prochain, déjeuner avec nous, avec Emma et le bébé, j’ai une proposition à te faire.
Et c’est ce jour-là qu’Arthur a été introduit dans le bureau de François, après le café.
La gravette : la maison familiale au fond et les dépendances
- Oui, Arthur, on ne peut faire le métier de roulier sans avoir un bureau à soi, surtout quand on a une famille de douze enfants. Tu sais, c’est un boulot formidable qui m’a permis de nourrir tout ce monde ; j’assume ce métier depuis plus de quarante ans. La grippe de cet hiver m’a donné un bon avertissement, c’est pourquoi j’ai décidé de mettre de l’ordre dans ma succession. Aline arrive en tête : elle ne veut rien sous prétexte que nous l’avons aidée à élever ses enfants.
- Mais, grand-père, Emma, elle seule, est concernée !
- Attends un peu, tu vas comprendre. Mes fils consultés ont tous une bonne situation et ils font le travail qu’ils ont décidé de faire, mes gendres aussi. Arthur, je suis sûr que tu seras parfait pour reprendre le métier de roulier mais tu vas me dire que tu lèses Marcel et Henri, je ne pense pas. Nous en avons parlé avec les intéressés et avec ma fille. Par contre, toi et Emma devenez responsables de mes petits-fils : il faudra les aider en cas de problème. Je te parle en tête-à-tête parce que je veux savoir si tu es séduit par ma proposition. Je crois comprendre que oui mais il faut que je développe...
Je vous donne à Emma et à toi, ma clientèle, mon cheval « Monseigneur » et une charrette en bon état ; je viens de la faire réviser par le charron. Si tu acceptes, pour la forme, nous passerons tous les trois chez le notaire. Je te propose aussi de t’accompagner en courses, pendant les trois premières semaines et, après, pour que je ne me trouve pas complètement perdu à la maison, je pourrais venir avec toi, deux jours seulement par semaine. Est-ce que ça va jusque là ?
- Oui, bien sûr ! j’ai du mal à réaliser, vous me donnez là une opportunité tellement extraordinaire ; je ne vais pas savoir comment vous remercier.
- Mon garçon, si tu acceptes selon mes conditions, tu m’auras déjà remercié. Maintenant, parlons du métier. Tes clients te demanderont de transporter leurs marchandises jusqu’à un destinataire, essentiellement des sacs de céréales, de noix, du tabac,du bois etc. N’oublie pas que tu es seulement transporteur : la marchandise doit être soulevée par le client pour atterrir sur ta charrette , à charge à toi de la traîner jusqu’au fond du véhicule et d’y organiser le chargement. Arrivée au destinataire, la charrette peut basculer ou être déchargée par le destinataire. Ne va pas te fatiguer les reins à vouloir aider ! Si ce sont des sacs, au départ jette un coup d’œil sur leur état, ils peuvent être raccommodés ou rapiécés mais il faut que ce soit fait solidement. Ce n’est pas le moment d’avoir un sac de grains qui se vide ; cela serait une perte de temps et une cause de problèmes ; il faut être ferme. Nous verrons cela ensemble. Maintenant, il faut parler de comptabilité : quand le chargement est terminé, tu établis, devant ton client, la facture en double exemplaire, le recto pour le demandeur, le verso pour toi. C’est tant par sac ou par brasse pour le bois. N’oublie rien, prends ton temps : vérification par le client et signatures contradictoires. En principe, ils attendent d’avoir, eux-mêmes, été payés pour s’acquitter de la facture. Un registre de suivi permet de s’assurer que tu as récupéré le fruit de ton travail. Ils viendront chez toi pour se libérer de leur dette et c’est là qu’interviendra Emma. Sais-tu où tu vas pouvoir remiser la charrette et le cheval ?
- Je pense avoir trouvé la solution. Ne vous inquiétez pas pour Monseigneur, il sera bichonné ; vous devez savoir que j’ai de l’expérience dans ce domaine avec les chevaux de la Poste et ceux de l’hôtel. Ah ! Je suis si heureux grand-père, mille mercis.
- Bon, nous avons bien discuté, allons annoncer la bonne nouvelle à Emma, mon épouse est déjà au courant. Il te restera à prévenir tes employeurs.
De retour chez eux, Arthur et Emma ont discuté longtemps ; ils étaient conscients qu’ils se trouvaient à un tournant important de leur existence, ne plus dépendre d’un patron, avoir sa propre affaire à gérer… Le lendemain, en arrivant à l’hôtel, Arthur croise Louis Janot :
- Arthur, quelle drôle de tête, tu as aujourd’hui ! As-tu des problèmes ?
-Non, Louis, mais il faut que je vous parle. Dès que possible, je quitte votre service. Le grand-père Borde m’a proposé de reprendre son métier de roulier…
Et il raconte au propriétaire de l’hôtel, son entretien avec l’aïeul.
- Mais c’est formidable, Arthur, ne fais pas cette tête-là, tu n’allais pas rester garçon d’hôtel, toute ta vie. Je pensais à toi justement et je cherchais à t’employer dans mon affaire de négoce en bestiaux mais la conjoncture ne s’y prête pas. Cela fait bien douze ans que tu étais à notre service ; tu fais partie de la famille. J’ai en tête un jeune de Meyrals qui ne demandera pas mieux que de te remplacer. J’irai voir le receveur de la Poste pour savoir si mon idée de remplaçant lui convient. Je logerai le jeune dans une des chambres de bonnes, il sera ainsi sur place pour prendre son service à la Poste, le matin de bonne heure.
La nouvelle vie allait pouvoir commencer. Emma reprend ses promenades en direction de la gravette, en compagnie de son fils confortablement installé dans son landau. L’enfant est gracieux, Marie lui fait faire risette sur risette. Le patriarche Maraval a raison, il a les yeux noirs des Maraval : il est vraiment beau. Emma est fière de son fils ; comme convenu, elle veut le présenter à M. et Mme Anderson à Bordeaux. Un grand week-end est organisé au printemps suivant. Emma est heureuse de revoir ses amis et les retrouvailles sont chaleureuses.
Ils font quelques achats et Emma comble un de ses vœux, le plus cher : faire photographier son fils à Bordeaux.
De retour au pays, la photo passe de main en main avant de trouver sa place sur la commode de la chambre des heureux parents. Jusqu’à l’école maternelle, Jeantou reste dans les jupons de sa mère. A « la gravette », la forge le fascine. Quand il voit son oncle manier ces outils énormes pour dompter le fer incandescent, il le prend pour un surhomme. Henri le fait dessiner les dimanches de pluie, il joue aux billes avec le jeune oncle Fonfon et se promène avec son grand-père qui est le plus heureux des grands-pères.
La clientèle de François Borde a validé le travail de son successeur, le bouche-à-oreille fonctionne, aussi Arthur se retrouve-t-il avec une surcharge de travail. Une évidence s’impose, il faut embaucher et former un commis. Jean Cabannes sera notre homme. L’hôtel de la Poste s’est mécanisé, Arthur rachète le cheval « D’Artagnan » et fait l’acquisition d’une deuxième charrette. Pendant ce temps, Emma devient une comptable redoutable.
En septembre 1910, Aline reçoit à son domicile, 287 Boulevard André Gautier à Bordeaux, une convocation au service militaire pour son fils Marcel Destal. Il fallait s’en douter puisque l’intéressé a vingt-et-un ans, depuis le mois d’avril ! Il partira donc en octobre. Notre maréchal-ferrant confie la forge à ses ouvriers qui ont tous du métier et qui sont libérés des obligations du service militaire, depuis longtemps. Emma assurera la gestion et remettra de l’ordre dans la comptabilité. Le voilà parti pour deux ans. Il est affecté au 8ème régiment de cuirassiers à Tours. Il promet de donner de ses nouvelles, régulièrement, et ainsi une correspondance s’instaure entre Tours, Bordeaux et Saint-Cyprien.
Depuis le départ de Marcel, Henri ne tient plus en place. Il a maintenant dix-huit ans ; aussi, pense-t-il qu’il est temps d’aller faire son trou à Paris et d’y marquer son territoire avant de partir, à son tour, au service militaire. Le quai de la gare de Saint-Cyprien est particulièrement encombré en ce début de janvier 1911. Les familles Destal, Borde, Maraval sont là pour lui dire « m…. » dans le creux de l’oreille.
- Henri, écris-nous, tu as compris ? Nous voulons tout savoir de ta nouvelle vie : ton travail,ton logement, tes rencontres, tout, absolument tout, lance Aline venue au pays pour la circonstance.
Des baisers sont échangés et après avoir regardé le train s’éloigner, tout le monde prend la direction de la route du Bugue pour arroser le départ du héros de la famille.
Henri tient ses promesses. Il écrit régulièrement tantôt à Aline, tantôt aux grands-parents Borde, tantôt à Emma ou encore à Marcel. Les lettres sont dévorées, plusieurs fois. Le jeune frère aime mettre sur le papier, sa vie de tous les jours. Il a vite fait de se faire une place à « la Bienveillance » et, en plus, il a compris qu’il vaut mieux être modeste car des personnages inquiétants ont l’air de l’attendre au tournant. Il est logé dans le même quartier, dans une pièce unique, minuscule, mais tout à fait convenable. Le soir, après le travail, soit il lit, soit il dessine ou encore il va marcher dans Paris. Il va vite devenir un vrai Parisien ouvert à tout : à la rue, aux spectacles, aux opportunités qui se présentent.
Montmartre : rue de l’abreuvoir
Il satisfait ses curiosités : cours de dessin, cours de mandoline, simples flâneries, rêveries à la terrasse des cafés. Il établit un programme de concerts, de pièces de théâtre, de musées, de promenades au jardin des Tuileries, aux Buttes-Chaumont … Dans un premier temps, ses rencontres sont décevantes, il les trouve trop ternes, sans enthousiasme, face à ce Paris merveilleux.
Chez Arthur et Emma, le déjeuner du dimanche est maintenant beaucoup moins aminé sans Henri et Marcel. Jeantou junior frétillait d’impatience à l’idée de voir ce tonton qui le soulevait, le faisait tourbillonner, l’installait sur ses épaules. Ces jours-là, l’enfant, de nature difficile, mangeait tout ce que maman lui mettait dans l’assiette ; il ne faut pas décevoir l’oncle Marcel.
Ils ont pris l’habitude de boire le café chez les Maraval, rue de la mairie. Emma fait suivre les biscuits sablés qu’elle réussit si bien pendant qu'Alice a maintenu le petit noir au chaud. Inévitablement, Maria demande des nouvelles d’Henri. Il y a toujours une lettre du jeune Destal à lire. Ses écrits étonnent les uns, émerveillent les autres. Jean répète toujours les mêmes phrases :
- Il n’a pas froid aux yeux, le petit.
-Qui lui a mis dans la tête de monter à Paris ? Les Destal, vous n’êtes pas bien à Saint-Cyprien ? Aline et Emma à Bordeaux et, maintenant, Henri à Paris…
Emma donne des nouvelles de Marcel. Elle sait qu’Alice n’est pas guérie, que son amour pour Marcel est toujours là, prêt à rejaillir comme le feu du volcan. André, le taciturne, aimait parler avec Marcel qui avait droit à de véritables discours de la part du serrurier, ce qui étonnait le reste de la famille. Le petit Jeantou ne perd rien de ce qui se dit, tata Alice a toujours une friandise pour lui. On a du mal à se séparer, alors le patriarche donne le signal : c’est l’heure de sa sieste et après il ira au jardin.
Les Maraval de la route du Bugue se dirigent vers « la gravette ». Emma se rend utile, Arthur parle du métier avec le grand-père, le met au courant de ses nouveaux clients, présente en paroles le commis Jean Cabannes. Emma envoie des rappels à certains mais fait preuve de patience. Tout le monde est heureux de la réussite de la petite entreprise. François est fier de son successeur. Emma aurait voulu voir Gabrielle mais cette dernière a un programme très chargé, le dimanche. Elle sort au bal avec les copines de l’atelier et les bals ne manquent pas dans la région. Gabrielle ne pense qu’à s’amuser !!!.

Il manque le P.S :
Dans un dénombrement de population, le registre avait prévu de recenser les métiers : donc, mon arrière-arrière-grand-père François Borde était bien roulier et Jean Cabannes, commis de Maraval.
Sur la fiche matricule de mon grand-père, son métier était " roulier " ; j'ai imaginé une passation de "charge" entre eux deux.
J'ai utilisé au maximum les archives départementales pour tous les personnages de mon livre.
Sources : François Borde mon arrière-arrière grand-père était bien « roulier ». J’ai trouvé cette information sur les dénombrements de population et sur ces archives là j’ai repéré Jean Cabannes comme étant commis de Maraval.
Mon grand-père, Arthur, est bien indiqué comme « roulier » sur sa fiche matricule. Dans mes souvenirs je savais qu’il était camionneur, suite logique de roulier.
Toujours sur les dénombrements de population Louis Janot est bien propriétaire de l’hôtel de la Poste et négociant en bestiaux.
Un siècle d’effervescence, d’idées et d’espérances (Partie IV et fin ) : « Il me faut des torrents, des rochers, des bois noirs, des précipices » (J.J.Rousseau )
Jean-Jacques Rousseau
Le Romantisme, nous dit Pierre, dans son excellent article Levez-vous vite orages désirés... (cliquez pour lire), a encore de beaux jours devant lui et de nous rappeler « les Lettres de Musset à George Sand, le musée de la vie romantique.
Sand a plongé dans ce mouvement qui agitait l’Europe, boosté par la Révolution avec la retenue de quelqu’un ayant une formation classique. Elle avait fait connaissance de Montesquieu, Bacon, Aristote, Pascal, Montaigne, Leibnitz puis La Bruyère, Milton, Dante, Virgile, Shakespeare…
Imprégnée des philosophes du XVIIIe siècle, c’est de Rousseau, ce pré- romantique, cet amoureux de la nature dont elle se sent le plus proche : « Mais, Rousseau arriva, Rousseau l’homme de passion et de sentiment par excellence et je fus enfin entamée. La langue de Jean-Jacques et la forme de ses déductions s’emparèrent de moi comme une musique superbe éclairée d’un grand soleil… Je devins, en politique, le disciple ardent de ce maître et je le fus bien longtemps sans restriction. »
Elle était sensible au lyrisme du grand philosophe, quelque peu poète : « Insensiblement, la lune se leva, l’eau devint plus calme et Julie me proposa de partir. Je lui donnai la main pour entrer dans le bateau…Nous gardions un profond silence. Le bruit égal et mesuré des rames m’excitait à rêver. Le chant assez gai des bécassines, me retraçant les plaisirs d’un autre âge, au lieu de m’égayer, m’attristait. Peu à peu, je sentis augmenter la mélancolie dont j’étais accablé. Un ciel serein, la fraîcheur de l’air, les doux rayons de la lune, le frémissement argenté de l’eau…rien ne put détourner de mon cœur mille réflexions douloureuses. » (La Nouvelle Héloïse)
Autour d’elle, des maîtres de la littérature, de la peinture, de la musique… vont se rassembler au plus profond de ce Berry qui est devenu sa terre, loin d’une capitale où s’agitent les idées, les cercles littéraires, les joutes verbales et les combats politiques et passionnels de cette nouvelle société toute imprégnée des conquêtes non assouvies de la Révolution de 1789. Elle y cultive passionnément ses fleurs, aime se promener dans les allées verdoyantes bordées d’arbres qu’elle interdit qu’on taille.
Un pays qui aurait plu à Jean-Jacques, philosophe, botaniste, pédagogue, naturaliste.
Nul doute que la lecture du Contrat Social et du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, a forgé ses convictions sociales et socialistes qu’elle défendra par ses prises de position et articles de presse. Avec d’autres, elle s’insurge contre l’immobilisme de cette société bourgeoise, de ce régime politique où prospère l’argent, au détriment du peuple ouvrier et des campagnes où règne l’illettrisme, où les conditions de travail arriérées ne bénéficient pas des progrès de la révolution industrielle.
Rester à l’écart du mouvement romantique était impossible, attachée à la littérature et au romantisme que lui inspire la nature et ses passions.
Dans un état troublé, elle veillera sur sa grand-mère jusqu’au bout. Puis, elle se laissera aller, par la suite, à des sentiments de tristesse, de mélancolie et de solitude : « Je n’avais pas lu René…...je le lus enfin et j’en fus singulièrement affectée. Il me sembla que René c’était moi…il m’arriva ce qui arrive aux gens qui cherchent leur mal dans les livres de médecine. Je pris, par l’imagination, tous les maux de l’âme décrits dans ce poème désolé. Byron apporta encore un coup plus rude à ma pauvre cervelle et l’enthousiasme que m’avaient causé les poètes mélancoliques…Young, Pétrarque, se trouva dépassé. Il me semblait que j’avais, comme René, le cœur mort avant d’avoir vécu et qu’ayant si bien découvert, par les yeux de Rousseau, de La Bruyère, de Molière même, dont le Misanthrope était devenu mon code, par les yeux enfin de tous ceux qui ont vécu, senti, pensé et écrit, la perversité et la sottise des hommes, je ne pourrai jamais en aimer un seul avec enthousiasme à moins qu’il ne fût comme moi, une espèce de sauvage en rupture de ban avec cette société fausse et ce monde fourvoyé. »
Elle reprend goût à la vie et se lie avec Jules Sandeau, le poète de la bande de La Châtre, elle gardera l’éponyme en y ajoutant le prénom George, cela pour pouvoir publier ses propres romans et ne pas subir les réactions d’une société bourgeoise ne supportant pas qu’une femme mette son nom en avant.
Alfred de Musset
En 1833, coup de foudre avec Alfred de Musset dont elle a fait la connaissance lors d’un dîner de la revue des Deux Mondes. Véritable mythe romantique, idylle d’amants célèbres qui attire l’attention et la curiosité de tous les cercles littéraires ou artistiques de la capitale, qui va se poursuivre par ce voyage tant désiré à Venise qui se termine mal. Sur le bateau à vapeur entre Lyon et Avignon, elle y trouve un grand écrivain de l’époque, Henri Beyle ou Stendhal, qui se révèle un compagnon de croisière distrayant et prolixe mais, finalement, elle apprécie assez peu l’homme lui-même. Il rejoint son poste de consul à Civita-Vecchia. A Venise, Musset tombe gravement malade, une typhoïde. Malgré ses incartades au cours du voyage, elle va veiller sur lui, mais leur relation en est affectée. Il va se remettre lentement et rentrera seul. Il reste hanté pour la vie par « les beaux yeux de velours noir » de la romancière.
« Jamais amant aimé, mourant sur sa maîtresse
N’a sur des yeux plus noirs bu la céleste ivresse
Nul sur un plus beau front ne t’a jamais baisé ! »
Frédéric Chopin
Puis, ce fut la rencontre avec Frédéric Chopin. Elle fut séduite par son allure adolescente, sa distinction princière et, par-dessus tout, sa musique. « C’est un embrasement céleste. Nous nous sommes livrés au vent qui passait et qui nous a emportés tous deux dans une autre région. »
Et, si cette thébaïde de Nohant plaît à beaucoup de ses amis, la gestion en est pesante, malgré toutes les aides dont elle s’est entourée, ses finances fondent rapidement au point qu’elle passe ses nuits à l’écriture de ses romans et autres œuvres « L’écriture comme gagne-pain, tel est mon objectif. Je suis écrasée de travail pour faire face à tous mes engagements et à mon train de vie qui excède mes revenus de deux tiers au moins. Il faut que j’abatte beaucoup d’ouvrage cet hiver (1837) ».
Ainsi, l’art et la littérature d’avant-garde sont à l’honneur, dans ce coin de France où se retrouvent des intellectuels, des littéraires, des peintres et autres figures politiques qui luttent pour plus de libertés, pour libérer cette société contrainte par une censure tatillonne, avec un sous-préfet de La Châtre aux idées d’un temps révolu, dont le souci est la paix sociale et qui ne se privera pas de réprimer violemment les émeutes de la faim des paysans du Buzançais.
Les petits bourgeois étriqués s’insurgent des mœurs de l’égérie de Nohant, du groupe de ses amis berrichons, de sa vie bohème, de ses accoutrements masculins, de son habitude de fumer le cigare.
Dans ce monde rural et paysan qui l’entoure, elle est comme chez elle et elle le leur rend bien : elle les tutoie, ils « entrent chez elle comme chez eux ». N’est-ce-pas là un type de société tout nouveau où des gens d’origine, de culture très différentes, se côtoient, apprennent à se parler dans un mutuel respect, à manger les uns à côté des autres, à faire du théâtre ensemble ? Voilà qui doit être rare dans cette France qui vit sous un régime qui veut étouffer toute initiative sociale avancée et toute idée socialiste.
Certes, la République va se réinstaller, pas dans les conditions d’apaisement qu’elle aurait souhaitées ; mais, la société qu’elle souhaitait, les lois sur l’éducation publique de Jules Ferry et la république sociale, tout le sens de ses luttes, s’imposeront !
George Sand meurt le 8 Juin 1876. Ses amis très nombreux étaient présents à son enterrement.
Aurore Lauth-Sand, sa petite-fille disparue en 1961, à laquelle elle apprît à lire, à écrire, qu’elle a éduquée et à qui elle racontait, chaque soir, une de ces histoires pour enfants sortie de son livre « Contes d’une grand-mère », nous dit : « Flaubert pleurait en m’embrassant. Il voulait m’emporter. Moi, j’étais comme indifférente à tout : la vie n’avait plus de raison d’être sans elle. »
Jacques Lannaud
P.S. : Le répertoire des œuvres de George Sand est impressionnant et je vous invite à en prendre connaissance dans Wikipédia. Je voudrais, toutefois, citer les romans champêtres connus de tout un public et qui, à l’époque, ont remporté un franc succès, d’autres romans comme Indiana, Lélia, Melchior etc…, Les légendes rustiques du Berry, Mauprat, Journal d’un voyageur pendant la guerre, Journal intime adressé à Alfred de Musset, Questions politiques et sociales, Le théâtre de Nohant, Lettres d’un voyageur…
Histoire de ma vie (4 tomes)
Correspondance entre 1812 et 1876 : 40 000 lettres
Contes d’une grand-mère, pour Aurore et Gabrielle (13 au total.)
Voyage au centre de la France
Catherine Merlhiot |
Catherine Merlhiot, la coordinatrice de ce blog, a une amie, émérite professeure universitaire, dans le centre de la France. Cette personne, Marie-Françoise Gribet, a beaucoup travaillé sur la préservation du patrimoine industriel. Par un pur hasard, cette chercheuse a découvert qu'en Terre de l'homme, nos collines du Périgord noir ont connu une activité minière qui, hélas, vacille dans l'oubli. Marie-Françoise. fière de ses racines minières du Nivernais, a bien voulu nous sensibiliser sur le passé historique du Morvan. Il lui tient à coeur et, certainement, il faut précieusement éviter qu'il ne soit considéré comme anecdotique.
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Promenade ouvrière historique en Nivernais
Marie-Françoise Gribet. Image "Le Journal du Centre"
Le puits des Glénons et son chevalement métallique
La Machine (Nièvre)
photo C. Merlhiot
Thématique récurrente dans le blog "Terre de l'Homme", la sauvegarde du patrimoine est aussi une mission à laquelle se consacrent, avec passion, des citoyens de notre bassin de vie.
Il y a peu, j'ai pu découvrir un autre coin de cette terre de l'homme où le patrimoine industriel a pu être préservé, mis en valeur et transmis aux nouvelles générations, grâce à la volonté de ceux qui en avaient écrit et vécu l'histoire : les mineurs de La Machine.
Drôle de nom, la Machine, petite ville du centre de la France, que j'aurais eu du mal à situer sur une carte, auparavant, et qui se trouve dans le sud-ouest de la Nièvre, à 35 km de Nevers , tout proche de la vallée de la Loire.
Le charbon a été pendant près de 200 ans, la principale ressource de la ville dont les différents quartiers ont été édifiés au fur et à mesure du "fonçage" des puits.
Des recherches archéologiques ont montré que le charbon a été exploité de longue date dans cette région. Il était extrait des couches en surface dès le IIème siècle et servait certainement de moyen de chauffage. C'est au milieu du XVIIème que l'exploitation du bassin houiller devient plus régulière, sous l'impulsion de J.B. Colbert et par la volonté de Louis XIV de ne plus être tributaire de la Grande-Bretagne pour l'approvisionnement des arsenaux.
C'est un ingénieur belge Daniel Michel (1616-1693) qui entreprend l'exploitation méthodique du gisement et installe notamment sur un des puits, "une machine" d'extraction actionnée par des chevaux avec un double tambour pour remonter le charbon. L'engin devint un objet de curiosité pour les habitants et donna ainsi son nom au village de la Machine.
L'exploitation du gisement prend son essor, le XIXème siècle sera son âge d'or. Après 1865, l'exploitation passe sous le contrôle de la compagnie Schneider, des puits sont forés jusqu'à une profondeur de 690 mètres, plusieurs cités ouvrières sont construites et des centaines de "gueules noires" recrutées.
Mineur en espadrilles (1934) de Lucien Jonas
Le travail de mineur est très dur. En 1870, la durée du travail est de 10 heures par jour, elle tombera à 8 en 1911, déjeuner pris sur place, une chaleur torride qui augmente plus on enfonce sous terre. Les enfants peuvent travailler à partir de 12 ans. Les femmes travaillent au tri, calibrage et lavage du charbon.
La Machine restera marquée à vie par la terrible catastrophe qui eut lieu le 18 février 1890 au puits Marguerite. Deux mineurs travaillaient au forage d'un nouveau couloir et firent partir deux coups de mine. La deuxième décharge serait partie à retardement et aurait enflammé les poussières soulevées par la première. Le bilan fut terrible : 35 morts et blessés.
le petit Moniteur illustré du 2 mars 1890
L'exploitation de la mine sera l'origine d'un grand brassage de cultures à la Machine. En effet, dès la 1ère guerre mondiale, il est fait appel à de la main d'oeuvre étrangère pour remplacer les mineurs partis au front. Suite à un accord avec la Chine, signé en mai 1916, 38 000 ouvriers chinois arrivent en France. A la Machine, entre mai 1917 et novembre 1935, 372 travailleurs chinois arrivent par vagues successives. En plus des Chinois arrivés en 1917, la Machine comptait des travailleurs nord-africains venus des colonies françaises, des Polonais, des Tchécoslovaques, des Yougoslaves. En 1936, un tiers de la population de la Machine est d'origine étrangère. Ce chiffre chutera par la suite mais, aujourd'hui encore, cette diversité se retrouve dans les noms des habitants de la ville.
Mais au début des années soixante, débute la reconversion énergétique de la France, du charbon vers le pétrole. La Machine qui avait pourtant modernisé ses équipements en 1952, n'échappe pas à ce mouvement. En 1962, c'est l'arrêt de l'embauche et le processus de fermeture commence. Le dernier puits fermera en 1974.
Dès 1970, d'anciens mineurs craignant alors que la mémoire ouvrière soit disséminée ou perdue, alertent le maire de la Machine et le directeur des Houillères et créent" l'Association Machinoise pour la Conservation des Souvenirs Miniers". Une première stratégie de conservation est mise en place (recensement des archives, collecte d'objets et de minéraux..) puis l'idée de la création d'un musée voit peu à peu le jour. Dans les années 1970, la sauvegarde du patrimoine industriel n'est pas une évidence. En 1974, le chevalement du puits des Glénons échappe à la destruction et sera conservé comme symbole du passé minier et c'est en 1982 que les bâtiments de la direction sont préservés et transformés en musée. Le musée est composé de deux sites complémentaires : le musée de la mine qui retrace l'histoire du charbon et la vie des mineurs et le puits des Glénons et sa galerie de mines qui font partager aux visiteurs, les dures conditions de travail des mineurs, des femmes, des enfants et des animaux.
Le musée de la mine de la Machine
J'ai eu l'occasion de visiter le musée et le puits des Glénons ainsi que la ville de la Machine et ses différentes cités ouvrières bâties au fil du temps, avec comme guide une fille, petite-fille et arrière-petite-fille de mineur, aujourd'hui professeure universitaire émérite et qui a pris sa part dans la préservation de ce patrimoine industriel : Marie-Françoise Gribet. Marie-Françoise continue, aujourd'hui encore, par ses travaux, à enrichir notre connaissance de cette histoire.
Mine de lignite de Merle, carreau des Mines Basses, commune de Cladech (Dordogne), coll. AROEVEN.
Si j'ai souhaité vous parler de la Machine, c'est aussi parce que le Périgord est aussi une terre que les hommes ont creusée pour en extraire les richesses, ce que j'ai découvert tardivement, qui me semble également peu connu du grand public et mériterait d'être mis en valeur.
Des mines de lignite étaient en effet exploitées sur les communes de Cladech, La-Chapelle-Péchaud, Allas-les-Mines et Veyrines-de-Domme, de 1867 à 1948. Le minerai était utilisé dans les industries de la porcelaine, du papier ou pour les locomotives à vapeur. Elles ont connu un pic d’exploitation durant la Seconde Guerre mondiale. Elles comptaient 100 mineurs professionnels et 400 ouvriers requis dans le cadre du STO (service du travail obligatoire). Il reste encore des vestiges sur le site de l’Aroeven, devenu un centre de vacances, au lieu-dit Merle à Cladech.
Entrée de la mine à Cladech
Je sais que la préservation de cette mémoire tient également à coeur à de nombreux Périgourdins et que beaucoup a déjà été fait notamment grâce à l'action de l’A.R.O.E.V.E.N [Association Régionale des Œuvres Educatives et de Vacances de l‘Éducation Nationale], d'Isabelle Petitfils qui en fut la directrice et de l'enseignant Alain Paulhiac, auteur de l'ouvrage "Une aventure minière en Dordogne, 1867- 1948)".
J'en oublie certainement, qu'ils veuillent bien m'excuser.
Cette mémoire tient également très à coeur à Pierre Fabre qui avait développé un projet dans le cadre du budget participatif de la Dordogne mais qui n'a malheureusement pas été retenu. Mais Pierre n'a certainement pas dit son dernier mot.
Jacky Tronel, éditeur (Secrets de pays) et membre de ce blog, s'est également intéressé à cette histoire et a publié en 2011, dans son blog, " Histoire pénitencière et justice militaire", un article passionnant consacré à "L'exploitation des mines de lignite (1940-1948) et la gestion de la main d'oeuvre étrangère en Dordogne." Une conférence avait été donnée à Belvès, la même année.
J'espère que toutes les bonnes volontés à l'oeuvre, actuellement, pour perpétuer l'histoire de cette aventure minière de la Dordogne, parviendront à leurs fins.
Catherine Merlhiot
PS :
Je me suis beaucoup servi pour rédiger cet article de "L'histoire de la mine de la Machine", études et documents n°11 de "Musées de la Nièvre". Je tiens aussi à remercier ma guide Marie-Françoise Gribet de m'avoir fait découvrir sa région et son histoire.
Raymond "ten te fièr".
SAINT CYPRIEN
Adiou Raymond. Non, que tout le monde se rassure, ce blog, ouvert à toutes les sensibilités républicaines et tolérantes, n'a nullement l'intention de s'immiscer dans le domaine sensible et intime de la spiritualité. Adresser un petit adiou à un homme qui, sa vie durant, s'est consacré à la vie locale, n'est tout simplement qu'un point de civilité à son égard, dans un bassin de vie où il a su entretenir d'excellentes relations avec toutes et tous.
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Raymond, un homme du terroir.
Dans le bassin de vie que Raymond a arpenté, pendant un gros demi-siècle, tout le monde s'accorde à dire qu'il est un personnage "biface". Cet homme d'église, intervenant naturellement dans un domaine qui est le sien -et sur lequel, ce papier n'a nullement le désir de disserter- est, par ailleurs, citoyen de terrain. Il s'intéresse à bien des thèmes de la vie locale courante.
Un lieu de rencontre plutôt insolite.
Je pense avoir connu et rencontré, pour la première fois, Raymond, à Montignac, en 1973, quand un collectif scénique décida de faire revivre l'odyssée romanesque de Jacquou le Croquant. Pour ce faire, il fallut plusieurs épisodes dont un fut mis en scène à Fanlac, avec une prise d'assaut de l'église. Ce mouvement frondeur ne choqua nullement le clergé de ce diocèse de Périgueux-Sarlat qui, 68 ans après la Séparation de l'Église et de l'État, ne manifesta aucun courroux ni hostilité à cette "prise" factice et hétérodoxe de cette Église Saint Jean de Fanlac. Un autre temps fort et agité fut l'incendie du Château de l'Herm, incendie théâtral facilité par l'hospitalité des maîtres contemporains des lieux. Jacquou, dans le roman d'Eugène Le Roy, fut jugé pour cet acte dont il fut le promoteur.
Ce jugement reconstitué à Montignac fut, en 1973, l'occasion de faire revivre cette issue enflammée.
Le public, plusieurs centaines de personnes, assistait debout à ce moment crucial.
J'étais dans le public avec mon frère et, hasard de la promiscuité, Raymond était à côté de lui. Il y avait, deux rangs derrière nous, deux personnages fort remarqués tant par leur discrétion que par la sympathie qu'ils obtenaient des citoyens présents à cette soirée. C'était Lucien Dutard, le député d'alors et son suppléant Louis Delmon, alors conseiller municipal de Trélissac, il se préparait à entrer en mouvement pour le conseil général et la mairie de Sarlat où il a ceint l'écharpe tricolore 4 ans plus tard.
Raymond dit à mon frère "Tiens voilà Dutard et Delmon". Mon frère lui fit remarquer qu'il ne connaissait pas le second. Étonné, Raymond lui dit "Tu ne connais pas Delmon ; viens que je te présente".
Pour ma part, je fus plus que stupéfait et supris de ce mouvement de cordialité qui dépassait -et de loin- les stéréotypes et, qui, l'espace d'un moment, brisa les "interdits" conventionnels.
Lors de la proclamation du résultat de l'audience du tribunal, pris dans le tumulte effervescent du public où d'aucuns se livraient à une carmagnole endiablée, un passionné, à l'intention de Nansac, le sinistre comte anti-héros de Jacquou, lança un "fumier".
Amusé, Raymond rectifia avec une saillie d'humour dont il avait la maîtrise; "Non, tu ne devrais pas dire "fumier" mais plutôt "engrais".
C'est ainsi que l'agnostique que je suis, découvrit, il y a bientôt 50 ans, un prêtre qui osait défier quelques règles.
Aujourd'hui, Raymond, après tant de décennies au service de la cause qui est la sienne, voit venir le moment où il va lui falloir se résoudre à prendre un peu de repos.
Qu'il me soit permis de lui dire avec amitié "Ten te fièr"* Raymond.
* "Ten te fièr", en occitan, veut dire "Garde-toi en bonne santé".
P-B F.
Histoires de bornes.
Depuis la nuit des temps, les bornes ont assumé un rôle de vigiles du patrimoine, qu'il soit collectif ou privé.
Pour Francis Cahuzac, de la Commission française pour la protection du patrimoine historique et rural, il existe une variété infinie de bornes, la plus ancienne connue étant le menhir. L'histoire du bornage semble donc apparaître, il y a environ 6 000 ans, alors que les premières populations de chasseurs cueilleurs se sédentarisent et tentent de cultiver une terre qui restera souvent ingrate. C'est à partir de ce moment, qu'apparaissent aussi les premiers conflits en raison de la position plus ou moins privilégiée ou stratégique d'un terroir que l'on tente de délimiter en dressant des repères visibles. La propriété privée est née et, avec elle, tous les moyens progressivement mis en oeuvre pour la préserver.
François Ponsard, image Wikipédia |
" Quand la borne est franchie, il n'est plus de limite / Et la première faute aux fautes nous invite. Cet aphorisme, emprunté à deux alexandrins de "L'Honneur et l'argent" III, 5, Michel-Lévy] Paris, 1853" de François Ponsard, poète et auteur dramatique français, né à Vienne le 1ᵉʳ juin 1814 et mort à Paris le 7 juillet 1867, a, à plusieurs occasions, servi d'étai pour divers propos.
Alphonse Allais, journaliste, écrivain et humoriste français, né le 20 octobre 1854 à Honfleur et mort le 28 octobre 1905 à Paris . Célèbre à la Belle Époque, reconnu pour sa plume acerbe et son humour absurde, il est notamment renommé pour ses calembours et ses vers holorimes, ne fait que reprendre cette remarque avec "Une fois qu'on a passé les bornes, il n'y a plus de limites". |
Les bornes délimitant les parcelles privatives ont toujours connu des "histoires" et contestations. Certains osaient, de nuit, déplacer les bornes. Ces agissements alimentaient le fonds de commerce des géomètres et, jadis, animaient les audiences des juges de paix. Aujourd'hui, les outils de mesure électroniques permettent d'apprécier les limites de parcelles mais ne règlent pas tout. Pour quelques centiares, il y avait, hier, de quoi aller en justice. Auiourd'hui, on hésite car la débonnaire et gratuite justice de paix est repliée dans les tiroirs de l'histoire et en se pourvoyant au tribunal d'instance, il faut admettre que la procédure a un coût.
Les bornes visuelles les plus connues jalonnent nos routes. Hélas, elles ont tendance à disparaître, soit par des accidents d'entretien des accotements, soit par des soustractions de personnes qui ne s'inscrivent pas dans la plus rigoureuse sauvegarde de notre petit patrimoine.
L'ancienne Route départementale n° 11, qui épousa en grande partie l'itinéraire de la voie gallo-romaine Périgueux-Cahors, devint route nationale 710 en 1930. Elle fut à nouveau départementalisée en 1973. Les bornes ont été repeintes pour gommer ces décennies de "promotion" en routes nationales.
Photo © Pierre Fabre
Le cartouche jaune de ces bornes s'imposa après le déclassement de 1973. Les R.N. dont il ne reste qu'une peau de chagrin, avaient un cartouche rouge. La R.N. 710, elle, était en tronc commun avec les ex R.N. 139 [La Rochelle-Périgueux, 89 [Lyon-Bordeaux], 703 [Port de Couze-Bretenoux] et 660 [Bergerac-Rostassac]. Aujourd'hui, la RN 710, déclassée en R.D. 710, a conservé son numéro, que ce soit en Dordogne ou en Lot & Garonne.
Les R.N. 20, 21, 89, 136 et 139, pour éviter les doublons, ont dû abandonner leur numéro antérieur. Le "caprice" des décideurs a coûté bien de lisibilité cartographique, des pots de peinture et de deniers de contribuables.
Photo © Pierre Fabre
Les bornes qui disparaissent sont, aujourd'hui, remplacées par des jalons métalliques. Ils sont, certes, plus modernes mais ils sont loin d'avoir la grâce des antiques bornes lapidaires. Ici, nous sommes à Fongauffier, au P.K. 14 de la R.D. n° 53, route de l'ancienne station de Castelnaud à Lacapelle-Biron.
Photo © Pierre Fabre
Les bornes hectométriques ont pratiquement toutes disparu. Jadis, les marcheurs, non par loisir mais par nécessité, comptaient leurs pas en appréciant de voir se réduire le parcours à couvrir.
Photo © Pierre Fabre
Le chevauchement historique de l'ex R.N. 703, départementalisée en 1973, atteste ce glissement patrimonial. Photo D.R
Ces bornes implantées aux limites départementales, elles-aussi, ont tendance à disparaître de ces jonctions territorriales. Sous Lavaur, au Buguet-Bas, jonction de Lavaur et de Sauveterre-la-Lémance, la borne bi-départementale a disparu... aujourd'hui, elle sert -peut-être- de décor à un espace de particulier.
Photo © Pierre Fabre
Les subtilités territoriales.
Les routes nationales étaient jalonnées avec une chronologie... départementale. Ainsi, l'ancienne R.N. 136, Bordeaux-Bergerac, devenue R.D. 936, alternait à deux reprises de Dordogne à Gironde, tout comme l'ex R.N. 117 qui, elle, comportait deux segments hauts-pyrénéens dont l'un est l'héritage de l'enclave bigourdane en Béarn.
Deux petits regrets.
Nous avions, dans les années 50, pour jalonner la R.D. 51 [dite du Buisson à Gourdon], des bornes d'un type original. Celles-ci étaient avec une base triangulaire qui se réduisait vers le sommet. Ce sommet était un dôme. Les faces triangulaires se prêtaient à merveille à la lecture du jalonnement des deux villages suivants. Ces bornes rustiques ponctuaient le jalonnement d'Écoute-s'll-Pleut à Saint Laurent-la-Vallée. Pour d'obscures raisons, elles ne correspondaient pas de quelques 200 mètres, au jalonnement de la seconde partie du siècle précédent. Le point 0 a-t-il été déporté ou une autre mesure a-t-elle prévalu ? Quand le doublon existait, encore, j'avais vivement indiqué à un fonctionnaire de l'Équipement, l'intérêt qu'il y aurait à sauvegarder ces originales pièces lapidaires dont je pressentais, qu'un jour ou l'autre, qu'elles allaient être soustraites. Hélas, la soustraction a bien eu lieu mais où sont parties ces pièces patrimoniales, nul ne le sait. Elles ont dû aller dans une quelconque décharge.
Quand, après 1930, la R.D. 11 devint R.N. 710, le changement des bornes s'imposa d'autant plus que le jalonnement avait un décalage de 500 mètres. Celle de Fongauffier, à l'intersection de la R.D. 11 et du C.D. 53, fut alors couchée dans le fossé de l'accotement où elle croupit une bonne trentaine d'années. Personne n'a songé à la récupérer, pour un espace public, en témoignage du passé.
P-B F