Terre de l'homme

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Saint-Just ou l’archange de la Révolution

 
 
 
 
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                                            Louis de Saint-Just par Pierre Paul Prud'hon

 
 
« Je n’aime point cet extravagant. Il veut apporter à la France une république de Sparte et c’est une république de Cocagne qu’il nous faut. »
 
Tel est le jugement de Danton auquel, il est vrai, l’oppose le désaccord politique de son collègue de la convention.
Originaire du Nivernais, Saint-Just vient au jour à Decize, bourgade au Sud de Nevers, le 25 Août 1767, fils d’un capitaine de cavalerie, titulaire de la Croix Saint-Louis et d’une mère, fille d'un notaire et grainetier au grenier à sel de Decize. Deux sœurs naîtront au foyer à Morsain près de Soissons puis, en octobre 1776, la famille déménage en Picardie à Blérancourt proche de Laon. C’est là qu’il va entreprendre son parcours scolaire et, ensuite, entrera au collège des Oratoriens de Soissons de 1779 à 1785.
Féru d’histoire de l’Antiquité, il est conquis par Cicéron et Démosthène. Sans doute, ira-t-il puiser dans la Grèce antique, l’art oratoire que l’on cultivait à l’époque et dont il usera avec talent, art que l’on enseignait dans des « lycées » en formant de futurs orateurs, avocats, philosophes, qui, entourés de disciples, arpentaient l’Agora.
Mais, il est vite happé par la philosophie des Lumières. Très tôt, il s’engage dans la Révolution, soutenant les combats du petit peuple picard. C’est, alors, qu’il brigue un siège à l’Assemblée Législative mais, trop jeune, ne peut y prétendre. Il se reporte, un peu plus tard, sur les élections à la Convention, est élu représentant du peuple du département de l’Aisne, à 25 ans et s’inscrit au parti de la Montagne qui siège au palais des Tuileries où il retrouvera des membres éminents, parmi lesquels Danton, Robespierre, Marat, Billaud-Varenne, Carnot, Barras…
 
 
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                                   Georges Jacques Danton par Constance-Marie Charpentier
 
Auparavant, il avait participé à la Fête de la Fédération en 1790 et au cortège accompagnant Louis XVI, après sa fuite, lors de son retour à Paris, et fera la connaissance de Robespierre, en août 1790.
Ce jeune conventionnel fraîchement élu va se distinguer rapidement par sa prestance physique, sa fougue, ses prises de parole qui révèlent un véritable orateur. Quasi-inconnu, il obtient une notoriété nationale par le discours qu’il prononce lors du jugement de Louis XVI, le 13 novembre 1792, qui impressionne la Convention. Le roi doit être jugé, non comme un simple citoyen mais comme un ennemi du peuple qu’il convient d’éliminer : « On ne peut point régner innocemment, la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. » et de conclure : « Puisque Louis XVI fut l’ennemi du peuple, de sa liberté et de son bonheur, je conclus à la mort. »
Mais, qui est-il vraiment ? Il s’active au sein du parti dirigé par son mentor, Robespierre, qui lui fait un peu d’ombre, certes, mais dont il n’a pas le caractère rigide, rigoureux, incorruptible qui le conduit à affronter et à entrer dans des débats et polémiques, en cherchant à imposer sa pensée et son verbe.
 
 
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                                    Maximilien Robespierre  (école française du XVIII ème )

 

 

Non, Saint-Just est un homme de terrain avec une vraie passion révolutionnaire qui l’anime et le conduit à agir, pour vaincre ses ennemis, ceux qui hésitent ou s’engagent mollement, son action consistant à faire triompher les nouvelles idées et à faire table rase de la royauté millénaire que le peuple a supportée pour, finalement, en arriver à une crise économique sans précédent, sauf dans des périodes tragiques de guerre ou d’épidémie de peste. En juin 1793, élu par la Convention au Comité de Salut Public, il devient un des tout premiers dirigeants
de l’assemblée comme rapporteur, avec ses importants discours lus au nom du Comité, devant la Convention, notamment sur le gouvernement révolutionnaire, sur les décrets de Ventôse, contre les factions ou par ses nombreuses missions aux armées, d’octobre 1793 à juin 1794, au cours desquelles il est un acteur majeur des victoires de Landau et Fleurus, sur les frontières du Nord et de l’Est de la France.
 
Car, c’est là une vraie épopée qu’il entreprend à sa dimension, c’est à dire celle d’un vrai ministre de la guerre sur le terrain, au contact de l’ennemi. Cette mission dangereuse et risquée où il investira toute son autorité, sa fougue révolutionnaire, son intelligence évoque le fameux discours prononcé bien plus tard par Clémenceau, le 18 mars 1918, devant l’Assemblée Nationale : « Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais la guerre, je fais toujours la guerre, je fais toujours la guerre. »
 
Le 9 mars 1793, il part pour les Ardennes et l’Aisne pour la levée de 300 000 hommes, puis prend en charge l’Oise et la Somme. Surtout, par décret du 22 octobre, il devient représentant du peuple aux armées de la jeune République, accompagné de son ami Philippe Le Bas.
Après son entrée au Comité de Salut Public, le 30 mai 1793, il se radicalise, dénonçant la mollesse de députés girondins et va faire voter la loi des suspects en déclarant : « Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » et proclame à la tribune : « Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre ; qu’il y propage l’amour des vertus et le bonheur ! le bonheur est une idée neuve en Europe. »
Son inspection des armées républicaines lui fait mesurer l’ampleur du problème : armées négligées dans un état de dénuement catastrophique, pénurie alimentaire, pénurie de chaussures, d’habits, non-renouvellement de l’armement, désertions, pensions non payées… il réalise, alors, que son rêve de faire triompher la Révolution face aux coalisés, est en train d’échouer, que cette coalition anglo-autrichienne qui presse aux frontières et va déclencher l’offensive, va se traduire par un désastre et, peut-être, le retour d’un Capet sur le trône de France. Furieux, il écrit au Comité : « J’ai vu des soldats mourir de faim en baisant leur fusil. » et signale qu’à son arrivée à Strasbourg, des soldats vendaient leurs souliers.
 
La zizanie domine entre les deux grands généraux Hoche et Pichegru qui ne s’étaient même pas rencontrés et la coordination se heurtait aux mauvais rapports des deux généraux et à la jalousie d’autres délégués. A Paris, les pouvoirs décisionnels poussés par leurs propres chapelles, s’interrogeaient, envoyant chacun de leur côté des informateurs.
Saint-Just et son ami Le Bas vont tenter de reprendre les rênes et d’imposer leur loi. Car, le temps presse. Finalement et après bien des échanges, Saint-Just et Carnot resté à Paris, parviennent à mettre une stratégie au point. Il avait écrit : « L’opération la plus difficile qui nous reste pour terminer la campagne glorieusement, est de reprendre le terrain jusqu’à Landau… l’ennemi veut se fortifier dans les gorges où il dominerait l’Alsace et la Lorraine. Il faut que les deux armées de la Moselle les en chasse dans peu. »L’offensive se précise et Saint-Just recevant un plénipotentiaire autrichien en vue de discussions sur un armistice, lui déclare : « j’ai laissé ma plume à Paris, je n’ai apporté ici que mon épée. »
 
Le jour J enfin arrive et il envoie à Hoche, ce billet : « Général, il faut que, sous peu, il ne reste plus un Prussien, pas un ennemi... C’est à toi de montrer si tu es capable d’un coup généreux. Enflamme ton armée ; mets en harmonie tes mouvements avec ceux de Pichegru . Nous t’attendons à Landau... »
Landau, une petite ville de la Rhénanie-Palatinat longtemps française et francophone mais très disputée, d’environ 5000 habitants, assiégée par les Austro-Prussiens, en novembre- décembre 1793, sera libérée par l’offensive de Hoche. C’est la bataille de Woerth-Frœschwiller qui vient conforter le moral des troupes, couronner la mission du jeune représentant de la Convention aux Armées qui avait exprimé sa volonté de prendre Bitche, près de Sarreguemines puis de prolonger jusqu’à Landau (bataille de Wissembourg). Au Comité de Salut Public, le délégué envoie le message : « Il serait trop long de vous détailler les prodiges de valeur de nos braves soldats. »
 
 
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                                          La bataille de Fleurus par Jean-Baptiste Mauzaisse

 
C’est, alors, qu’il rejoint Paris mais le 10 Floréal An II, il repart en mission dans l’armée du Nord. Déterminé à poursuivre l’offensive malgré les réserves de Kléber et Marceau ; il échoue sur Charleroi mais l’armée ne s’arrête pas là et poursuit sur Courtrai qui est pris et surtout remporte la grande victoire de Fleurus, le 8 messidor An II (26 Juin 1794).
 
En étant venu au secours des troupes et en remportant la bataille finale de Fleurus, Saint-Just sauve non seulement la France mais la Révolution.
 
Certes, il n’est pas vu d’un bon œil par les factions qui se disputent le pouvoir mais qui aurait pu le remplacer dans cette mission périlleuse, apaiser les querelles des généraux, ressouder l’armée, lui redonner l’enthousiasme et l’envie de vaincre cette redoutable coalition anglo-autrichienne, sauver la Révolution ? Je n’en vois pas d’autres.

 

‌Jacques Lannaud 
 


25/12/2021
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